Dérives en rives caraibes Vol. I

RELATION D’UN SEJOUR EN MARTINIQUE

Une journée de ‘galère’ moderne

Comme l’année dernière nous avons abandonné la grisaille et la froidure parisiennes pour l’éclatant soleil de l’arc volcanique des Antilles. Et plus précisément celui de la Martinique. Il nous fallait bien vérifier l’adage d’un des surnoms de l’île ; celui « des revenants ».

A contrario, l’équipée changeait de visages. Marie-Claude et moi n’étions plus accompagnés d’amis, mais de Rosine qui était en fait l’initiatrice du voyage et de Marion qui avait réussi – une fois de plus – à me décider à la joindre à ce voyage.

Nous sommes en décembre et partir à cette époque est un choix délibéré. Nous refusions de revivre l’éprouvante expérience de notre premier séjour ; cet insupportable bain de chaleur humide du printemps. L’hiver se prête mieux à des vacances indolentes sous ces latitudes. La saison des pluies y est finie, et c’est heureux. Nous ne tenons guère à en connaître ses excès, les cyclones qui portent en ses bourrasques les squelettes disloqués de la vie et les jettent aux pieds des hommes. Ne nous réjouissons pas trop vite, le dernier d’entre eux n’a t-il pas ravagé le mois dernier la Floride, surprenant tout le monde en cette saison. Sans doute un caprice du Dieu du vent des indiens caraïbes – qu’ils appelaient Hu-Ra-can  et qui subsiste encore aujourd’hui dans les langues européennes sous le terme d’ouragan.

Le départ

Il n’empêche. Le départ ne fut pas de toute quiétude. L’accompagnement impromptu de Marion augmenta de sérieuse manière l’excitation de l’envol. Notre avion étant plein, il nous fallut lui acheter un billet sur un autre vol programmé 1 heure plus tard, et non pas d’Orly Sud comme nous, mais d’Orly Ouest ! Heureusement qu’elle ne partait pas de Roissy…Aussi, laissant Marie-Claude et Rosine à l’un pour préparer notre propre enregistrement de bagages, j’accompagnai Marion à l’autre. Puis, laissant Marion à une hôtesse, je sautais dans un wagon d’Orly-Val pour rejoindre les filles à l’enregistrement des bagages. Arrivé là, personne ! Il ne restait plus qu’une trentaine de minutes avant le décollage. Je me précipitais alors vers l’embarquement – sans papier, ni billet – pensant bien les y retrouver. Après quelques difficultés avec les douaniers, j’atteignais la porte d’embarquement pour me rendre compte qu’elles n’y étaient pas. Après quelques appels au micro – sans réponse – et de nombreuses minutes d’anxiété je les voyais enfin arriver, affolées…

Inutile de dire que nous étions les derniers à monter dans l’avion.

Le scotch de l’apéritif fut le bienvenu.

Après un déjeuner sans âme composé d’une fine tranche de saumon et d’un navarin d’agneau, j’offris mon dessert à la voisine de Marie-Claude, une antillaise débonnaire qui s’était liée d’amitié avec elle. Nous eûmes droit à la projection sans grand intérêt du film « Speed ».

Vers 19 heures, nous atterrîmes sur l’île de Saint Martin, escale technique dont profitèrent quelques vacanciers bien bronzés pour rentrer sur Paris via Fort-De-France et d’autres bien plus pâles pour descendre là.  Plus d’une heure plus tard, nous décollions à nouveau, mais cette fois pour notre ultime destination, la Martinique. On nous annonce pendant ce dernier vol les différentes îles que nous survolons. Mais, placés au centre de l’appareil, nous avons beaucoup de mal à contempler cet arc volcanique des Anteyllas comme les appelaient les portugais rappelant les îles d’avant – Anté Islas- mais avant quoi ? Sinon de ces Indes, tant espérées, qui était la préoccupation majeure d’une époque fort lointaine pour nous autres, actuels visiteurs de ces lieux. Le survol en avion de ce chapelet que sont les Antilles est probablement l’un des plus beau qu’il soit possible d’admirer. Le silence du pilote nous laisse libre d’attribuer des noms exotiques aux différentes perles de ce collier magnifique. Puis l’évidence se fait jour, nous survolons cette magnifique île en forme de coquillage qu’est l’ancienne Madinina.

Carte de Benedetto Bordorne

D’autres voient en son pourtour bien d’autres formes. Raphaël Confiant avec son exubérance créole n’y va pas de main morte : « La Martinique ressemblait diantrement à un foetus ! Oui, à un foetus ! Un foetus qui aurait le bras gauche légèrement relevé comme s’il voulait crier à l’aide ou alors s’étirer pour mieux bâiller. Allez savoir ce qui se trame dans une matrice… ». Du ciel, l’île n’est qu’un immense espace botanique exubérant. Gorgé d’eau et de lumière, qu’il soit cultivé ou jungle, il jaillit de mille séductions faites des contrastes de textures et tonalités variées. Aux plantations de cannes à sucre et de bananes répondent les pentes boisées luxuriantes du nord. Des symphonies florales tropicales de la jungle à l’aride savane des pétrifications, il n’y a guère qu’une vingtaine de kilomètres mais tout en patchworks naturels.

Arrivée

A 20 heures 30, Un survol circulaire autour de la côte nous place alors face à Fort de France. Puis, l’avion descend lentement et inexorablement vers une baie étincelante. Nous plongeons sur Le Lamentin, l’aéroport international qui porte le nom d’un mammifère marin depuis longtemps disparu de la cohé située près des pistes, totalement exterminé par les nombreux flibustiers et boucaniers qui n’avaient souvent que cet animal à se mettre sous la dent.
Ici sous ce hangar de tôle qui n’accueillait qu’un seul vol hebdomadaire il y a à peine une trentaine d’années, nous souffrons déjà de la chaleur. La partie dévolue aux départs est, elle, climatisée. Probablement pour préparer les partants à leur destination plus fraîche. C’est aussi que l’aéroport est en constante mutation pour faire face à l’arrivée croissante de visiteurs.
Cette impression du changement est encore plus impressionnante quand on songe qu’il y a 40 ans, c’était un hydravion qui assurait la traversée transatlantique. De toute façon il est indéniable que même en empruntant le moins dispendieux des charters d’aujourd’hui, qu’est notre inconfort comparé aux souffrances des jeunes noirs transportés il y a quelques 3 à 400 ans !

A fond de cale – existe-t-il plus insalubre lieu ? – parmi leurs propres immondices et les détritus en tous genres. Enchaînés, confinés, comprimés, bousculés, battus par des gardes-chiourmes et mordus par des rats… Leur seul espoir ; disparaître à l’occasion d’un naufrage ou d’un abordage, ou, plus tard, qu’on les jette par dessus bord lors d’un contrôle d’anti-esclavagistes. Les suicides ne sont pas rares ; le simulacre d’une fuite, pour tomber sous la décharge de pistoles ; d’une révolte, pour se précipiter sur une baïonnette.

Le triangle maudit

Paradoxalement, ce point extrême des rotations aériennes entre la Martinique et la France tourne toujours le dos à sa Métropole. L’île fait inéluctablement la fière et ne regarde, mais sans les voir, que ses consoeurs de la mer des Caraïbes. Cela me donne à penser que Saint-Pierre également – tout aussi boudeur – se cachait, lové derrière les falaises de la belle Pelée du triangle infernal de l’époque esclavagiste : Bordeaux, Dahomey et Saint-Pierre. Par charité, accordons lui aujourd’hui le bénéfice d’une pensée qui ne pouvait être sienne, la honte.

En janvier 1716, Bordeaux peut se livrer à la traite des esclaves. En avril de l’année suivante, elle a l’autorisation d’armer des vaisseaux. Elle devient alors une forteresse du pacte colonial, un port négrier qui ne s’élèvera jamais au rang de Nantes, mais un des plus importants centres de redistribution des produits coloniaux vers la France et le nord de l’Europe. La richesse devient telle, que dès la seconde moitié du XVIe, le quartier des Chartrons se peuple de néerlandais et d’hanséates qui s’y installent comme redistributeurs des denrées antillaises. Les juifs portugais prennent un essor vigoureux avec, à leur tête, les Gradis, dont un des fils, David, devient même en 1731 bourgeois de Bordeaux. De grandes familles françaises, armateurs et négociants s’y installent également, comme le cévenol Bonnafé, le castrais Baour et le toulousain Journu. Ou encore les Kater qui, enrichis par la traite des noirs, réussirent à se faire anoblir. En toute bonne foi, ils prirent des armes « de gueules à un vaisseau d’or, voguant sur une mer de sinople, et un chef d’argent chargé de trois têtes de nègres… »

Tout repose sur le principe que l’établissement des colonies n’a pas d’autre raison que celle de favoriser le commerce et non la fondation d’un empire colonial. Il s’agit plus de trouver des débouchés pour les produits métropolitains, pratiquer la traite des noirs, et revendre les produits coloniaux. Un système triangulaire dont les angles géographiques mais aussi et surtout économiques, sont Bordeaux, le Dahomey et les îles ; des babioles pour les rois du Dahomey, des esclaves pour les planteurs, du sucre ou du café pour Bordeaux. En prime, on y développe la marine… Et, pour éviter tout risque, les bordelais refusaient de recevoir du tafia, qui aurait pu avoir un effet désastreux sur les vins du bordelais. Pire, ils y envoyaient leur fameux vins de Palus…Un marché en somme au seul bénéfice de Bordeaux. D’autres ports et quelques compagnies privées sont ainsi protégés par une législation leur accordant ce monopole et appelée le régime de l’Exclusif.

Les planteurs antillais petit à petit renâclent, puis regardent du côté des navires étrangers de plus en plus ouvertement. En 1717 le mouvement du Gaoulé (chahut en créole) se déclenche et les planteurs arrêtent et renvoient en métropole le gouverneur La Varenne et l’intendant Ricouart qui voulaient appliquer l’Exclusif de façon stricte. Ils en ont assez de ces partenaires métropolitains qu’on leur impose, aux prix exorbitants qu’ils pratiquent et à la rareté des esclaves et des denrées dont ils ont besoin. D’autant que les corsaires anglais ne se privent pas de piller les bateaux français, dont ils connaissent la route et les embarquements grâce aux assureurs anglais que les armateurs bordelais avaient la stupidité de mandater. Sur 300 navires marchands que l’amiral Boscawen réussit à arraisonner en 1755, près du tiers appartient a Bordeaux. C’est donc pratiquement sous le coup de la famine et de la faillite que les îles s’ouvrent au commerce étranger en 1767. Le triangle maudit va petit à petit changer de sens et dériver plus au nord vers les Bermudes… mais ceci est une histoire sans grand intérêt.

Une heure plus tard nous avons récupéré Marion, nos bagages et une petite 106 Jean toute blanche, immatriculée 528 ANC 972.

Il est 17 heures locales et nous partons en direction de l’Auberge du Marin, l’ex « Last Resort » de nos cousins Gérard et Nadine, laissant Fort-de-France derrière nous. L’unique autoroute de l’île se love au sein des plaines du sud, plantées de canne à sucre. Nous croisons une rhumerie dont une ancienne locomotive, rouillée et isolée signale l’entrée. Il s’agit de celle de Trois-Rivières. La route s’engage dans un paysage plus accidenté et plus verdoyant. Des bois de cocotiers, palmiers, bananiers et arbres à pain longent l’asphalte.

De nombreuses cases se cachent sous les frondaisons de quelques fromagers auxquels la légende attribue le pouvoir de tuer dans l’année tout homme qui l’aurait blessé. La route, enfin, vient se loger sur les promontoires côtiers pour nous laisser descendre en direction de la baie du cul-de-sac du Marin. Nous croisons une mangrove où se cache deux magnifiques yoles multicolores. La mer s’éclaire de tons pastels sur lesquels le soleil s’amuse à faire rebondir mille éclats. Nous touchons au but.

L’Auberge du Marin est un restaurant possédant quelques chambres sans grand confort mais une table succulente grâce à la finesse d’une cuisinière du Sud-Ouest et aux talents d’un dénicheur de produits locaux. L’année dernière mes retrouvailles avec mon cousin m’avaient laissé profondément ému. Il y avait tellement longtemps que je ne l’avais vu. J’avais eu toutes les peines à cacher mon émotion. Je lui avais remis en guise de cadeau de retrouvailles des photos datant de nos dernières vacances communes. Elles dataient de trente ans. Une confrontation de nos souvenirs de jeunesse mais aussi nos douleurs éternelles… ma mère, sa soeur, aujourd’hui décédées…

Ce soir, nous sommes totalement exténués et malgré l’accueil chaleureux de nos hôtes nous ne tardons pas à aller rejoindre nos sommaires chambres, bien amplement suffisantes pour les quelques descendants des frères de la côte qui perpétuent toujours la recherche éperdue d’une liberté de plus en plus improbable. Un lit, une étagère et l’indispensable ventilateur. Nous nous en contentons comme la clientèle habituelle de l’auberge, des skippers dans l’attente de touristes amateurs de croisières sous les alizés. Une douche rapide dans l’unique salle de bain et au lit.

Le sommeil fut profond mais perturbé ; premières piqûres des ‘yen yen’, de minuscules moustiques, et les vols lourds et sonores d’énormes coléoptères nocturnes. Nous ne pouvons décidemment pas quitter ces vrombissements aéronautiques… Au petit matin, les filles affichent des faces piquées d’innombrables petites rougeurs. Elles ne sont pas les seules à souffrir sous les assauts incessants des moustiques. Tous les magasins proposent en conséquences le ‘produit miracle’, le Bay Rum de Sainte Lucie qui annonce sur une bouteille évoquant plus une bière qu’un médicament les extraordinaires bienfaits de la potion.

« Produit unique de Sainte Lucie, fait d’huiles et de feuilles de laurier et d’alcool pur, le Bay Rum est indispensable au temps de bonne ou mauvaise santé. La formule ne changea pas depuis que la première génération de la famille Cox développa ce produit fantastique. Aucun ménage ne sera pas un ménage sans le Bay Rum efficace. Il y a plusieurs façons de l’utiliser.

  • Après le bain, éparpillez-le sur le visage et le corps.
  • Après l’exercice, éparpillez-le sur la peau. Ca soulagera vos muscles fatigués.
  • Si vous avez mal à la tête, trempez la morceau de tissus, reposez-le sur votre tête et ca vous soulagera.
  • C’est excellent comme décongestionnant, aussi pour une forte température.
  • Pour des morsures d’insectes, appliquez le Bay Rum immédiatement après la morsure.

Les applications régulières sont excellentes pour les arthroses et les rhumatismes. »

En somme un véritable produit de survie… qui a supplanté sa majesté le Rhum auquel, au siècle dernier on accordait les mêmes vertus.

Une journée d’approche

Décalage horaire oblige, nous sommes tous debout alors qu’il n’est que 6 heures du matin. Après un rapide déjeuner pris sur une terrasse ombragée de bananiers et de cocotiers, nous quittons nos cousins pour quelques emplettes chez Annette, le supermarché local. La côte Est sera notre programme de la journée. Direction Le François, une ville de la côte Est qui a gardé l’ancienne orthographe du terme ‘Français’. Nous sommes au coeur d’un pays d’élevage. Le tourisme, Dieu merci, n’y a pas encore pris pied. Seules les bêtes nous accompagnent du regard. La route est bordée de haies touffues qui pourraient nous laisser croire à une départementale normande si, plus loin, nous ne constations que c’est une autre nature qui sévit ici, puisque les piquets, taillés dans des branches de monbain, y ont pris racine ! Arrivés à un embranchement près de l’ancien volcan qui culmine à plus de 500 mètres, nous décidons de bifurquer sur Le Vauclin. Je croyais que ce bourg portait le nom du flibustier Moise Vauclin, « vice amiral » de l’Olonnois qui s’était illustré avec ses comparses de la Tortue. En fait, il est bâti à l’emplacement où s’élevait l’habitation du seigneur de Vauquelin dont le nom s’est abâtardi avec les ans. Ce seigneur s’était enrichi grâce à ses plantations de tabac et de cannes. La qualité des caféiers et des cacaoyers faisait la richesse de l’endroit au XVIII siècle. Ainsi en 1771, Bordeaux importait plus de 100 millions de livres de café alors que 50 ans auparavant elle n’en recevait pas 30 livres !Le village d’aujourd’hui doit bien posséder d’autres intérêts outre le fait de s’enorgueillir d’être la patrie de l’écrivain Raphaël Confiant.  Effectivement, c’est jour de marché. Mais, à peine descendu de voiture, un commerçant nous prévient que malgré le soleil « ça va tomber » et un orage brutal et violent d’éclater à peine ces quelques mots prononcés. Nous courrons nous protéger quelques instants dans la voiture.La nuit semble s’être brutalement abattue. Seuls quelques fugaces éclats d’eau et de lumière traversent les vitres. Nous ne voyons rien d’autre et ne pouvons guère écouter autre chose que le tintamarre que la pluie tropicale joue sur la carrosserie. Combien de temps peut durer ce déluge ?

C’est à ses derniers soupirs que nous quittons cette ville dont j’ai un curieux souvenir gastronomique : Un steak de tortue dégusté « chez Dédé ». Un mets à la réputation flatteuse auquel je n’avais pu résister. Malgré une chair d’aspect filandreux et désordonné qui ne flatte guère l’oeil, la tortue mérite, par sa tendresse et sa finesse, une réputation qui la perdra probablement. Je n’ose croire que ce restaurant réputé pour sa cuisine colorée d’une teinte patinée aux effluves boucanières propose toujours de cet animal sur sa carte. La tortue est aujourd’hui protégée, mais allez donc savoir ! Il suffit de lire Le Père Labat pour s’obstiner à en tenter la dégustation. Un jour d’avril 1695, Monsieur Hoüel, actionnaire de la Compagnie des îles d’Amérique puis gouverneur de la Guadeloupe en 1643 et enfin seigneur-propriétaire de l’archipel en 1649 avait invité sans façon le révérend père sur une plage de l’îlet Saint Christophe à partager un boucan de Tortue.

Labat raconte :

 « Voici ce qu’on appelle un boucan de tortue et comment on le prépare. On avait choisi la plus grosse des quatre tortues qu’on avait prises, et sans lui couper ni les pieds ni la tête, on l’avait ouverte par un côté pour en tirer tous les dedans. On avait levé le plastron d’une autre, et après en avoir ôté toute la chair et la graisse, on avait haché tout cela avec ce qu’on avait tiré de la première, des jaunes d’oeufs durcis, des herbes fines, des épiceries, du jus de citron, du sel et force piment, et on avait mis tout ce hachis dans le corps de celle qui était entière, ensuite de quoi l’ouverture avait été recousue et couverte d’un morceau de terre grasse. Pendant que les cuisiniers étaient occupés à ce que je viens de dire, on avait fait un trou dans le sable de quatre à cinq pieds de profondeur et de six pieds de diamètre. On avait rempli ce trou de bois, que l’on y avait laissé consumer jusqu’à ce qu’il fût en charbon, afin de bien échauffer toute la concavité de ce trou. On avait ensuite retiré le charbon, et la tortue avait été couchée sur le dos dans le fond, couverte de trois ou quatre pouces de sable chaud des environs, et puis du charbon que l’on avait retiré, avec un peu de sable par dessus. Ce fut ainsi que ce pâté naturel demeura dans cette espèce de four l’espace d’environ quatre heures, et qu’il se cuisit beaucoup mieux qu’il n’aurait fait dans un four ordinaire. Voilà ce qu’on appelle un boucan de tortue.

Dès qu’on nous vit approcher on commença à déterrer le pâté. J’y fus assez à temps pour le voir sortir du four. Les pieds et la tête de la tortue servirent pour passer les lianes afin de le faire glisser sur les bords qu’on avait abattus en talus et le tirer sur une civière faite de deux gros leviers garnis de lianes traversées, sur laquelle quatre puissants nègres le portèrent au milieu de la cabane où il devait être mangé. Je ne crois pas que les plus grands monarques de I’Ancien et du Nouveau Monde aient jamais eu sur leur table un pâté d’environ cinq cents livres pesant comme était le nôtre, dont le dedans fût plus délicat et la croûte plus ferme et plus naturelle.

 J’oubliai de dire qu’on avait nettoyé avec soin la croûte du pâté, afin qu’il ne restât ni sable, ni cendre, ni charbon, ni autre chose qui eût pu gâter le couvert ou choquer la vue.

La tortue étant en cet état, et tous les conviés assis sur des bancs de même fabrique que la table, on cerna tout autour le plastron de la tortue afin de l’ouvrir, et à peine l’eût-on levé qu’il en sortit une odeur mille fois meilleure que je ne puis dire ; en un mot, jamais odeur de pâté ne chatouilla l’odorat plus délicatement que celle qui se répandit de tous côtés à chaque ouverture. Outre la tortue, il y avait du poisson de diverses zones en abondance, qu’on ne daigna pas seulement regarder. On ne songea qu’au pâté. On n’en mangea de grand appétit et il était si délicat et si bien assaisonné qu’il semblait exciter la faim au lieu de l’apaiser. Il était tard par conséquent quand nous en sortîmes.

Cette relation de repas est extraite de la chronique aventureuse d’une mission aux Antilles que ce prêtre exerça de 1693 à 1705.

L’auteur, né à Paris en 1664, entreprit de devenir ecclésiastique et entra en 1682 au noviciat du couvent des frères prêcheurs de la rue Saint Honoré à Paris. Le 11 avril 1685 il prononce ses vœux puis part enseigner la philosophie et les mathématiques à Nancy. Mais, aventurier dans l’âme et probablement dépité par sa vie monacale, il se fait nommer missionnaire et embarque à La Rochelle le 29 novembre 1693. Il débarque à la Martinique, quelques semaines plus tard, le 28 janvier 1694 et là s’y rend vite indispensable. Toutes les facettes de ses multiples talents peuvent ici s’exprimer. Il en use et en abuse… Tout à tour architecte de la mission, procureur, syndic, voyageur, ethnologue, explorateur, naturaliste, botaniste et surtout gastronome ! A quoi il réplique avec un bon sens certain :

« On dira peut-être que voilà des documents de cuisine pour un missionnaire apostolique, à quoi j’ai à répondre que quand on est obligé d’avoir soin de son ménage, on est en même temps obligé de s’instruire de bien des choses, dont je ne me serais pas chargé la mémoire si j’avais toujours été dans mon cloître, mais l’obéissance m’ayant employé dans un état, j’ai été en même temps obligé de savoir ce qui était comme des dépendances de cet état, eu égard à la nécessité qu’il y a de vivre et souvent de se préparer soi-même à ce qui est nécessaire à la vie ».

Il en vient même à oublier quelque peu sa cure. Outre toutes ses observations et études, il saute sur toutes les occasions lui permettant de vivre diverses aventures avec les flibustiers ou l’armée, et à en découdre avec les anglais… Pragmatique, et profondément impliqué par sa mission apostolique, il n’hésite guère à utiliser envers les noirs des procédés sadiques tendant à imposer la supériorité de sa foi. Aujourd’hui encore, les enfants s’affolent lorsque leurs parents en colère l’invoque : « Père Labat vini prend’ou ».

Devenu supérieur des dominicains de la Martinique et vice préfet apostolique il doit rentrer en Europe le 8 Août 1705 pour les besoins de sa mission. Retour par l’Espagne et l’Italie. Le contexte et la société changent. Il a aussitôt quelques ennuis avec ses supérieurs mais surtout avec la classe dirigeante créole. Il est en effet contré dans son désir de retourner aux îles par les familles influentes de la société créole. Pierre Arnoul, seigneur de Vaucresson, chevalier de Malte, envoyé aux îles en 1704, intendant en 1708 avait reçu une dépêche ou il est dit : « Le père Labat ne sera jamais autorisé à revenir aux Colonies, quoiqu’il puisse faire pour en obtenir l’autorisation… » Qu’à cela ne tienne. Il devient confesseur de Vauban en 1707 sur les champs de bataille où il a bien du donner quelques « coups de mains »… (Aux deux sens du terme). Puis il reprend le chemin de Rome. Enfin, en mai 1716, il regagne son couvent d’origine, rue Saint Honoré pour y achever sa carrière et rédiger les mémoires de ses voyages et de ses observations. Il publiera d’ailleurs « Voyages en Espagne » puis « Voyages en Italie » dont je ne sais si le second a été réédité depuis – à mon grand regret – mais dont j’ai retrouvé le premier, dans une édition de 1927 publiée par les Editions Pierre Roger. En 1728, il publiera à Paris chez Théodore Le Gras « Nouvelle relation de l’Afrique Occidentale » où il n’avait pourtant jamais mis les pieds. Malgré cela, il sous-titre l’oeuvre avec cet aplomb superbe de l’ecclésiastique – le centralien de l’époque ! – « description exacte du Sénégal & des Païs situés entre le Cap-Blanc & la rivière de Serrelionne ». En fait, il s’était appuyé sur les mémoires d’André Brue qui fut commandant pour la Compagnie Royale du Sénégal… Il meurt le 6 janvier 1738 à l’âge surprenant de 75 ans, après avoir survécu plusieurs fois à la fièvre jaune appelée alors le mal de Siam qui faisait des dégâts considérables sur les européens jusqu’au siècle dernier.

En somme un empêcheur de tourner en rond de la société bien pensante de l’époque auquel tous les martiniquais sont redevables aujourd’hui, surtout par l’éclairage qu’il donne des rapports entre blancs et noirs. Sa propre façon de traiter les esclaves montre en tout cas que s’il savait remettre en cause ses connaissances et son approche de la nature, il n’était en aucune façon possible, même pour un esprit tant soit peu éclairé, de réaliser l’injustice des rapports humains.

Nous filons vers la plage de Macabou. Il semble me souvenir que j’y avais déniché des catalpas, fleur de toute beauté, plus originale par la couleur que par la forme puisqu’il s’agit d’un hibiscus. L’accès au lieu est toujours espoir de solitude. C’est un large chemin empierré qui nous ballote en tous sens et dont on ne voit pas la fin. Quand enfin, elle se présente, nous nous trouvons face à une barrière près de laquelle jouent quelques enfants. L’accès est fermé. Il est nécessaire de payer 10 francs pour pénétrer au sein d’un sous-bois aménagé en parking. C’est une propriété privée qui borde la plage. Et comme l’indique le ticket, il ne s’agit que d’un « droit de circulation à titre transitoire ». Nous laissons là notre véhicule et recherchons la plage de l’anse Trabaud. Bordée de cocotiers et de mancenilliers, son sable fin est souillé d’algues mortes rejetées par l’Atlantique. Ici, les vagues ont une puissance autre que sur la côte Caraïbe. La plage est déserte et personne ne s’y baigne. Seul un groupe de jeunes se prélasse au soleil. Assoiffé, l’un d’eux va couper quelques noix de coco dont il aspire l’eau. Au milieu de la plage, une rivière vient mourir contre le sable en une mare peu amène malgré l’eau claire. J’y déniche un crabe presque translucide. Apeuré, il s’échappe en une course folle puis brutalement disparaît. Je tente de le retrouver et recherche naturellement un trou où il se serait glissé. Mais rien. Que le toilé du sable. Puis brusquement, un mouvement. Quelques grains de silice qui rouleraient sous son poids ? Il est là, juste devant mes yeux, pratiquement invisible, sa couleur et son aspect se confondant totalement avec le velours minéral. Impressionné par son mimétisme, je le laisse là, tranquille.

Après une baignade mouvementée, nous retournons au parking que bordent quelques maisons. L’une d’elles, bâtisse neuve et moderne est un restaurant où nous décidons de manger. Nous pénétrons dans une grande salle à manger totalement déserte. Un métropolitain nous y accueille. La carte qu’il nous présente est un enchantement qui stimule notre appétit. Langoustes au vieux rhum pour certains, fricassées de lambis pour les autres. Je suis un peu étonné de trouver du lambis sur la carte. D’après mes souvenirs, ce coquillage ptérocère proche de la famille des strombidés ne vit que dans l’océan Indien et le Pacifique ouest. Les explications que donne le serveur me font penser au strombe géant ou combattant qui sont parmi les rares strombidés à vivre aux Caraïbes. Toujours est-il que c’est délicieux. Après ce repas, nous repartons pour l’habitation Clément, une des plus célèbres distilleries martiniquaises installée au François, une ville de la côte Est qui a gardé l’ancienne orthographe du terme ‘Français’. C’est ici que les français laissèrent les premières traces occidentales sur le sable antillais. Bien avant la prise de possession par d’Esnambuc, les flibustiers et autres navigateurs venaient s’y ravitailler en eau et en cassave.

Paradoxalement en cette île, cette ville bien que de bord de mer n’est pas un port. Elle donne l’impression de s’être réfugiée à l’intérieur des terres, dans la vallée d’une rivière, refusant également les contreforts des mornes qui l’enserrent. Une ville agricole, que confirme l’une des rares choses intéressantes à voir ici même, l’habitation Clément. Une plantation béké qui a déjoué le temps et les aléas de l’histoire…

Fondée par Homère Clément en 1887 sur le site d’une sucrerie datant de 1770, l’habitation est constituée d’un immense parc de plusieurs hectares planté d’espèces végétales diverses et de toute beauté. Nous le parcourons avec admiration et même parfois stupeur tant certains arbres ont une majesté et – pour nous autres européens – une originalité stupéfiante. Rosine arpente le parc, le nez à terre, engouffrant dans son vaste sac tous fruits et graines qu’elle trouve. La maison béké qui domine la plantation date des années 1820 et a été totalement restaurée et meublée de mobilier des possessions françaises d’outremer.

Histoires de noms.

Nous reprenons la route vers Le Robert, encastré au fond d’une magnifique baie – le havre du Robert – protégé au nord par la Pointe Rouge appelée autrefois le cap des galions et au sud par la pointe Larose, ou plus exactement de La Rose comme le nom de l’îlet qui la prolonge. Sur ce cap s’élevait la cabane – que l’on appelait alors un carbet – du caraïbe christianisé et baptisé La Rose qui secourut le père Labat un jour de tempête.

A propos de nom, Alain, un de mes amis martiniquais, se prénomme Daniel. Personne ne l’appelle Daniel. Pourtant c’est Daniel qui figure sur tous les actes officiels. Même ses parents ne l’ont jamais appelé Daniel. Alain est son prénom usuel. Et si Daniel est son prénom officiel, c’est qu’Alain est né le jour de la saint Daniel. Heureusement qu’il n’est pas né le jour de l’Epiphanie… Henry Scholastique Estripeault, maire du Lorrain en 1848 n’eut pas cette chance là !

L’attribution de nom de famille aux anciens esclaves relève d’une liberté beaucoup plus étonnante dès lors qu’elle révèle un côté bien marqué de l’antillais, sa sexualité libertaire. Il ne faut par chercher d’autre raison que l’évidence aux raisons des patronymes Mondésir, Monchéry. Et il faut comprendre le créole pour sourire au nom de Bocaly, le terme cal désignant un membre. Mais dans certains cas, il devait falloir une bonne dose de sagesse pour supporter certaines hardiesses du passé ; N’est-ce pas monsieur Crétinoir ? L’histoire et la mythologie venaient également au secours de l’imaginaire ; Romulus, Clytemnestre, Spartacus, Nabuchodonosor sont des exemples flagrants. Avant leur émancipation, les esclaves portaient également un nom. Ils étaient d’ailleurs baptisés mais sur ordre et sous contrôle des maîtres. Ce n’était pas les parents qui décidaient. La ferveur ou la vision d’un père importait peu. Il n’était pas possible de ressusciter un ancêtre. L’hommage, le souvenir et moins encore l’amour d’une mère ne pouvaient s’exprimer par le don de nom. La vie, oui, mais aussitôt et définitivement le maître prenait livraison de son bien et selon son bon plaisir, marquait sa prise plus violement encore qu’une marque au fer rouge sur un corps, en décidant du patronyme. Par cet acte sur l’esprit et la personnalité d’un être, il anéantissait l’existence même des géniteurs. Son imagination et l’humeur du moment décidaient d’une identité avortée. Et quand on était à cours d’idée, il suffisait de faire son choix  parmi les noms des vaisseaux qui avaient accosté le jour de la naissance. Un édit du 24 juin 1773 stipule « Toutes négresses, mulâtresses, quarteronnes, métives libres et non mariées qui feront baptiser leurs enfants, seront tenues, outre le nom de baptême, de leur donner un surnom tiré de l’idiome africain ou de leur métier et couleur, mais qui ne pourra jamais être celui d’aucune famille blanche de la colonie ». Hypocrite, on donnait son sperme et ses gènes mais surtout pas son nom. Certains, malins, avait compris que les gouverneurs n’étaient pas vraiment des résidents et s’ils étaient nommés le jour du baptême, leur nom pouvaient très bien faire l’affaire.

C’est dans cette splendide baie du Robert qu’ont débarqué fin janvier 1809 les troupes anglaises de l’amiral Cochrane et du général Beckwith pour une petite promenade de santé…Le 31, cette troupe était arrivée sans encombre sur les hauteurs de Fort-de-France. Rapidement elle atteignit et prit, sans coup férir, le fort Saint-Louis volontairement abandonné, avec toutes ses armes et munitions ! De là, il lui suffisait de pilonner le fort Desaix dans lequel s’étaient stupidement enfermées les troupes françaises. Sa chute, quelques jours plus tard, allait être également celle de Villaret-Joyeuse. Désavoué par ses propres soldats, emprisonné en Angleterre, il fût également écarté par Napoléon. La Martinique devenait anglaise pour la troisième fois de son histoire.

Vers 15 heures, comme prévu, nous redescendons vers le sud à la plage des Salines, pour nous y reposer mais aussi – une fois de plus – nous baigner. C’est sans conteste la plus belle de l’île, mais aussi la plus courue. Heureusement, nous sommes en semaine et presque seuls. Allongés sur le sable corallien, nous apprenons un nouveau type de repos ; nul besoin, nul soucis, les sens lascifs endormis par la contemplation du paysage, l’écoute des mouvements de l’air, l’attente des éclats de lumière et de son, rencontres furtives du minéral et du végétal, de la mer et du soleil.

Alterné de baignades, certains s’assoupissent, d’autres lisent. Je rêve en songeant à quelques pirates qui, en d’autres temps, devaient parfois se prélasser comme nous, ici même ou sur d’autres rivages de l’île. La Martinique alors était appelée Madinina par les espagnols et Jouanakaera par les quelques rares indiens qui s’y accrochaient encore. Quant aux membres de la flibuste cosmopolite, seuls devaient compter ces havres de paix et de repos dont les noms importent peu… une longue plage déserte, quelques cocos pour la soif, quelques palmes séchées pour un boucan de poissons ou de tortue et enfin un baril de rhum pour s’abrutir d’extase. Les arbres à pains qui poussent le rideau de palmiers vers le rivage  ne devaient pas être encore là. C’est bien plus tard que le célèbre capitaine Bligh, abandonné par l’équipage de la « Bounty » devait apporter dans les Antilles ces arbres tahitiens. Je souris à l’évocation de l’entêtement de cet homme si exigeant avec ses hommes et qui paradoxalement allait faciliter par cet acte la nonchalance des antillais grâce à la manne nourricière intarissable que sont ces arbres…

Après une après-midi de farnienté, nous retournons à l’auberge pour prendre une douche et nous préparer au repas chez Poï et Virginie à Sainte Anne. Il s’agit d’un de nos meilleurs souvenirs culinaires de l’année dernière. Là encore nous ne serons pas déçus. D’autant qu’il n’y a pas grand monde et que nous pouvons choisir notre place sur une avancée donnant sur la mer. A nos pieds, sous un sol vitré, les vagues viennent mourir… Le décor est superbe et les mets tout autant. Rosine commande des Saint-Pierre grillés aux herbes et bien évidemment péchés le jour même. Marion, une salade verte et un poulet cuit au citron et accompagné de sauce coco. Marie-Claude, des Accra de crevettes et du thon au poivre vert et enfin moi-même de minces filets de poissons crus à la marinade de citron. Un ravissement que ne ternit pas la suite, un pavé de mérou, poisson que je n’avais pas mangé frais depuis un ancien séjour à Mayotte. Un régal partagé.

Notre premier circuit.

Ce matin, le réveil est plus lascif et c’est seulement sur le coup de 10 heures que nous partons pour le village du Diamant dont est natif Jean-Baptiste Prévost de Sansac, marquis de Traversay qui, exilé à la révolution, deviendra ministre de la marine des tsars. S’il est plus connu en Russie qu’en France, il aurait néanmoins pu laisser quelques souvenirs. Ne serait-ce que pour avoir commandé la frégate du roi « la sensible » sur laquelle Joséphine abandonna la vie insouciante et doléante de la Martinique en s’enfuyant sous un déguisement d’homme.

On s’arrête au marché. Des coeurs résonnent dans l’église. On y prépare le Noël chanté. Marie-Claude rencontre une collègue du bureau central de la Banque de France de Paris. Passée la première surprise la discussion s’engage. Elle fait ses dernières courses avant de poursuivre ses vacances en Guadeloupe. On parle un peu de l’impression générale qu’elle et son mari ont ressenti à l’approche de l’île ; des sites qu’ils ont particulièrement appréciés… Puis on se quitte encore étonnés des caprices du hasard. Le monde est vraiment petit. A moins que la banque de France soit vraiment grande ! Rosine ignore cet imprévu étonnant en se pourléchant de noix de coco confite, que propose une aimable commerçante. Je descends sur la plage pour examiner à travers l’objectif du Nikon le rocher du Diamant ; Un piton abrupt de lave émergeant à plus de 170 mètres des flots, sauvage et fier… Et devant le village, la mer et le sable, imperturbables, se racontent des histoires de marins… J’y écoute celle de l’éternel pied de nez que les anglais voient en ‘’leur ’’ rocher du Diamant.

‘y a en effet aucun navire britannique croisant au large qui omettrait de saluer d’un coup de corne ce vaisseau éternellement échoué mais défiant toutes les tempêtes. Il le nomme « H.M.S. Diamond Rock ». Et cela pour la raison suivante :

Le commodore Hood réussit, lors des guerres napoléoniennes, à convaincre l’amirauté britannique de transformer ce rocher en un nouveau Gibraltar afin d’assurer l’isolement de la Martinique. Car les navires français réussissaient à se glisser entre le rocher et l’île lorsque les anglais tentaient vainement lors des guerres napoléoniennes d’appliquer le blocus. Ils croisaient au large, ne pouvant guère s’approcher sans tâter du boulet martiniquais… Il était effectivement tentant de transformer en forteresse ce rocher du Diamant avec sa naturelle façade défensive imprenable…

Après obtention de cet accord, il transforme – au prix de mille efforts, d’une véritable fortune et surtout d’un authentique exploit technique -ce rocher en citadelle qu’il croyait imprenable : A sa base, deux batteries prirent place sous des parois de roche. Une troisième vint se blottir dans une voûte artificiellement creusée à mi-hauteur. Enfin, le dôme fut fortifié et une quatrième y fut implantée. Le roc fut percé de galeries, de réservoirs, de redoutes, d’excavations servant de refuges aux soldats. Une citerne subsiste encore de nos jours. Des canons furent péniblement hissés…À l’issue de cette ardeur au labeur, Samuel Hood le baptisa tel un navire, en plantant à son sommet le drapeau de la marine royale britannique. La fanfaronnade ne dura pas. En mai 1805 arrive à Fort de France l’escadre franco-espagnole de l’amiral Villeneuve qui avait réussit à quitter Toulon en déjouant la surveillance de Nelson. Villaret de Joyeux, lieutenant général de la Martinique décida d’utiliser ces nouvelles forces. Cinq navires de l’escadre, l’Argus, le Berwick, la Fine, le Pluton et la Syrène reprirent la mer sous les ordres du capitaine de vaisseau Cosmao pour aller mouiller au large de Sainte-Luce. Là, des chaloupes portant deux compagnies de soldats commandées par le chef d’escadron Boyer pour les français et l’aide de camp Cortès pour des espagnols nagèrent vers le rocher. Sous le feu de l’ennemi, balles, boulets et rochers, des soldats réussirent à débarquer sur la mince grève et à se réfugier sous une voûte de roche.

A quelques mètres, une chaloupe coincée sur le rivage vient de prendre feu. A son bord, un baril de poudre menace d’exploser et de réduire à néant la tentative de Boyer. Aussitôt un matelot Simon Martin plonge et héroïquement repousse sous les salves la chaloupe vers la  haute Mer. James Maurice qui commande les assiégeants fulmine. Les vaisseaux français commencent alors à bombarder le Diamant. Dans la nuit du 1 juin, une soixantaine de grenadiers réussissent à débarquer, puis d’autres en soirée. Boyer décide alors de lancer l’assaut pour le lendemain. C’est un jeune lieutenant nommé Girandon aidé de quelques soldats qui se lance dans une escalade folle en dépit des obstacles naturels et sous le feu de l’ennemi. Il réussit enfin à atteindre le sommet, à repousser les anglais et les acculer dans les anfractuosités. Ceux-ci n’ont alors plus d’autres ressources que la reddition…

Nelson allait, comme tout le monde sait, venger plus tard l’honneur britannique. Mais le rocher restait français.

Plus loin sur la côte, adossé au contrefort d’un morne face au Diamant, nous tombons sur la case en bois polychrome construite par le bagnard Médard Aribot, en 1950. Je ne sais si la taille minuscule de la case est en relation avec la vision du monde tel qu’il pouvait le concevoir après ces 15 années de bagne. A sa libération, il est rejeté par ses compatriotes, exilé sur sa propre terre, banni à tout jamais par ses camarades, mis au banc par sa propre communauté. Il se réfugie alors dans le travail et construit trois cases où s’exprime beaucoup plus qu’un simple talent de menuisier. L’une a disparu, l’autre est en piètre état mais la troisième montre bien le monde au sein duquel Aribot s’était réfugié et où il allait paisiblement finir ses jours ; à l’écart, bien loin des premières maisons du village sur le sommet d’une grève. Sa toute petite baraque, dont l’exiguïté se fait oublier sous des couleurs et des décorations éclatantes de vie et de bonheur, contemple l’un des plus majestueux paysages de l’île. Medard Aribot, cet artisan de Sainte-Luce, avait été accusé de meurtre lors des élections sanglantes de 1925 et condamné à 15 ans de bagne en Guyane. Un meurtrier difficilement plausible quand on admire la grâce et la poésie qui émanent de son oeuvre. Une peine sévère quand on connait tous les troubles que les élections provoquent dans ce paradis. Car mes antillais n’ont pas comme seul point commun avec les corses d’être insulaires. Ils partagent la passion de truquer les élections. A tel point que Pierre Bénard allait pouvoir consacrer à ce ‘folklore’ presque la totalité de son ouvrage « A la Martinique c’est ça qu’est chic ». Il raconte en particulier qu’une des curiosités du Carbet – à placer dans un « temple de la renommée » républicain qu’il faudra bien un jour se décider à construire – est l’urne municipale, construite directement à l’intérieur de la salle de vote avec des dimensions telles qu’il soit impossible de la sortir de la pièce que ce soit par la porte ou par les fenêtres ! Cette habitude est si répandue qu’elle en a même été en quelque sorte officialisée par des dénominations charmantes. Ainsi « maman cochon » désigne cet extraordinaire pouvoir que les bulletins de vote détiennent sous les tropiques, à savoir se multiplier par enchantement ! Le navigateur Le Toumelin lors de son tour du monde autour du monde dans les années 1950 assista à des élections à Case Pilote et raconte : « Ces opérations sont toujours accompagnées d’une excitation collective très colorée. Les danses, les libations y couvrent les truquages les plus grossiers, allant jusqu’à des substitutions d’urnes ».

Nous repartons le long de la côte à la recherche d’une plage tranquille au fond d’une crique sauvage. Arrivés aux Anses d’Arlet, nous débouchons sur les quais pour apercevoir une épicerie dénommée « chez Rosine ».

Le monde est de plus en plus petit.

Cette petite ville est caractéristique de la Martinique avec sa plage de sable doré, son quai, pointant tel un doigt un centre ville prolongé par une petite place où trône l’église. Les quelques maisons de bois qui longent la plage

cassent cette ligne vive dans un espace de torpeur.

 

Reprenant notre chemin escarpé entre les mornes sauvages de l’ouest, une petite route, plongeant vers la mer, m’inspire quelques bonnes fortunes. Sans hésiter je la prends. Elle aboutit à l’Anse du Four où nous décidons d’y passer l’après-midi. A peine sur la plage, j’enfile mon masque et mes palmes afin de jeter un oeil sur la côte rocheuse qui enserre la minuscule plage. Dans une douce dérive j’admire la beauté de ces fonds sous-marins. Entre les rochers brisés reposant sur le fond sableux, le corail a pris pied. Éponge cuvette géante, corail feu et corail caveau. Les poissons foisonnent. J’aperçois des balistes, de nombreux grogneurs. De superbes poissons papillons virevoltent autour de statiques lutjans postés prés des coraux. En longeant une langue de sable, je dérange une plie brillamment tachetée qui s’échappe avec vivacité. Elle se pose avec grâce un mètre plus loin aussitôt suivie par une congénère que je n’avais pas aperçu et qui vient se placer dans la même position qu’elle occupait un instant auparavant près de sa compagne. Je saisis un morceau de bois qui repose sur le sable et écrase quelques coques d’oursins. Aussitôt d’autres poissons de roches s’approchent et s’invitent au festin sans aucune crainte. Puis parmi eux, quelques carangues aux nageoires fuselées, poissons de haute mer, apparaissent. Leur nage vive et brutale retient mon attention. Puis là, un éclat sombre attire mon regard ; un jeune paru, à la robe d’un noir velouté striée de bandes d’un jaune éclatant vient contempler la scène. Je m’approche de lui et tente de l’intimider mais s’il recule c’est pour reprendre de suite sa place. Au coeur d’une faille de corail, il m’ignore. Face au courant, il semble aux aguets et attend probablement une proie.

Pour la première fois, il m’est possible de constater de visu que les serpents sont aussi à l’aise dans l’eau que sur le sol. Je pus en admirer d’autres.

A son tour, ma sœur enfile le masque pour s’initier à la plongée. Après une appréhension naturelle justifiée par un souffle au coeur, elle s’enhardit et plonge de plus en plus profondément. Quelques longues minutes plus tard, elle revient émerveillée. Les fonds marins sont riches de couleurs, de formes et de beauté. Les poissons de coraux sont légions. D’ailleurs, quelques plongeurs émergent de l’eau tenant à bout de bras quelques poissons consommables. L’un d’entre eux, un immense noir au ventre rebondi arbore outre quelques poissons, une langouste modeste par la taille mais de toute beauté par les couleurs. L’après midi file diablement vite…

Vers 16 heures, nous reprenons la route pour Les Trois Ilets. Après un arrêt bar à la ‘Pointe du Bout’ colonisée par le tourisme, nous visitons le domaine de la Pagerie. Malheureusement, la rotonde qui abritait la partie la plus intéressante du domaine – celle consacrée aux documents ayant trait à Joséphine et Napoléon – est en pleine réhabilitation. Il ne reste donc que l’ancienne cuisine à visiter puisque le domaine a depuis longtemps perdu ses autres bâtiments. Je laisse les filles à leur visite et flâne dans le parc.

Nous reprenons la route pour les Trois Ilets, un charmant village où la brique supplante le bois dans les constructions. C’est assez rare sur cette île, mais il est vrai qu’il y a près d’ici une briqueterie. Elle possède également un atelier de poterie où nous décidons de terminer l’excursion. En fait nous tombons sur une usine – la briqueterie – et une série de vieux bâtiments dont certains possèdent encore des fours en bon état de marche. Cet établissement fournit depuis le 18e siècle tous les matériaux à base de terre dont a besoin l’île. L’ancien atelier, légèrement en hauteur, possède une architecture tout à fait originale et ne manquant pas de charme : Deux bâtiments semblables reliés par un corps de logis lui donnant une allure châtelaine. C’est ici que sont exposées les poteries.

En bas, dans un atelier artisanal, un sculpteur travaille. Une rue case nègre, toujours habitée – probablement par les ouvriers de l’usine – est visible des fenêtres du premier étage. Je n’ose pas descendre m’y promener tant l’état des lieux me semble sordide. Baguenauder là doit être une provocation que je ne tenterai pas. De l’autre côté de l’exploitation près d’un lac, ce qui semble être une ancienne maison de maître force l’admiration. Elle est dans le style des maisons créoles mais une vigueur et une massivité architecturale lui donne une originalité auquel je ne peux rester insensible. Là aussi des poteries mais aussi pas mal d’objets artisanaux en tous genres, dont la plupart proviennent d’Haïti. Du moins à la reconnaissance que je fais du style. D’ailleurs, il ne me semble pas que la richesse artisanale martiniquaise soit remarquable. Cette entreprise industrielle est la doyenne de la Martinique. Nommée « Poterie du Cul de Sac à Vaches » à l’origine, elle commença par produire des poteries permettant d’y couler du sucre pour obtenir des pains. Elle se diversifia bien évidemment : des pots, des tuiles et des briques dont certaines sont toujours en place dans les villages des alentours.

En quittant les lieux, nous passons près d’un petit bâtiment de bureaux. Au mur, la devise de l’entreprise : « Ici le travail change la terre en or » est gravée sur une pierre datant de 1783 mais une affiche syndicale collée récemment près d’elle appelle à une grève…

A la découverte du RHUM

Ce matin, j’ai accompagné Jessica, la fille d’Alexandra, à son école. Elle s’est assise près de moi, a accroché sa ceinture et m’a guidé ; dans le détail en me disant de tourner dès que la route amorçait un virage. Aussi bavarde que sa mère.

Après nos courses chez Annette et l’achat stupide d’un ouvre-boîte à 42 francs qu’heureusement on nous remboursa, nous sommes partis sur la presqu’île de la Caravelle. Au petit village de la Tartane sur une côte superbe. Nous nous arrêtons à la Rhumerie HARDY que nous visitons. Un grand noir efflanqué nous donne quelques explications :

« Ici nous sommes au point de départ. Alors pendant la saison de la canne à sucre, les coupeurs viennent d’abord. Ils viennent très tôt et nous apportent plusieurs tonnes de canne au champ.

Il reprend son souffle

– Ca dure 1 mois, 2 mois, 3 mois, 4 mois. Et là, à ce moment que la canne soit coupée au champ par tonne vers 10 heures, 11 heures, on a déjà plusieurs tonnes de canne au champ. En tout cas, on a des coupeurs très forts, qui va très vite, et là, à ce moment que la canne a été coupée par tonne, on nous avertit ici pour aller la récupérer au pied du capuchi (sic) parce qu’il faut pas laisser le soleil s’abattre dessus la canne. Parce que ça perd le sucre. Il faut la ramasser tout de suite ».

Commence la longue description du processus qui va hacher la canne de plus en plus finement. Les résidus – la bagasse – allant alimenter une chaudière produisant de la vapeur et alimentant l’installation mécanique. Le jus, récupéré dans de nombreuses rigoles, est pompé dans de grandes cuves à fermentation où il reste 2 à 3 jours avant de passer dans les colonnes de distillation. Il ne reste plus alors qu’à le mettre en bouteille pour commercialiser le rhum agricole, ou rhum blanc. Une partie est stockée dans des foudres de chêne pendant 18 mois pour produire le rhum paille, légèrement ambré et particulièrement odorant. Ce type de rhum a été inventé ici, mais on y produit également du rhum vieux. D’ailleurs à la dégustation que l’on nous propose nous y goûterons un rhum de 15 ans d’âge.

Après ce violent effort culturel nous décidons d’aller nous reposer. La séquence plage de la journée a lieu à l’Anse l’Etang, déserte et magnifique où les rouleaux de l’Atlantique fatigués par le barrage corallien de la côte viennent mourir en un incessant ressac.

Vers 15 heures, nous poursuivons la conquête de cette presqu’île. La route aboutit à un chemin qui assaille les hauteurs d’un ultime morne. Les points de vue sont tous aussi splendides les uns que les autres. La route laisse la place à un chemin qui mène à l’entrée du château. Il domine la baie sur une butte qui s’affaisse en dos rond vers des granges coiffés de figuiers maudits. Sur le haut, quelques vestiges en pierre volcanique noire d’une ancienne habitation datant de 1770 et construite par des békés, les Dubuc. Une grande famille de l’île qui a trempé dans la politique, les trafics en tous genres et évidemment l’agriculture, comme en témoignent les restes de grands entrepôts et des logements (ou plutôt des cachots) d’esclaves… Des gens semble-t-il pas très fréquentables, achetant sans le payer un titre de noblesse, luttant un jour contre les anglais, s’y ralliant le lendemain en les approvisionnant de rhum, d’esclaves et de salaisons,… Ainsi, Jean-Baptiste Dubuc entretenait des relations privilégiées avec le Duc de Choiseul alors qu’un descendant de cette famille fut, lors de la révolution, président de l’assemblée coloniale de l’île. En 1792, il se verra confier par les planteurs une mission de négociations qui aboutira à la reddition de la Martinique aux anglais. 10 ans plus tard, le traité d’Amiens la restituait à la France. Plus tard, Louis François Dubuc fut intendant de la Martinique, nommé par Malouet le ministre de la marine de Louis XVIII.

L’une des célébrités de la famille, Aimée Dubuc de Rivery, née à l’Anse Marlet au Robert, vécut ici l’une des aventures les plus romantiques du 18e siècle. Un soir, à l’occasion d’une promenade avec l’une de ses cousines, elle rencontra une vieille noire dont elle connaissait les talents de devin. Malgré une appréhension justifiée par l’aspect et la réputation de sorcière de la vieille femme, elles osèrent lui demander la bonne aventure. Après quelques réticences, la femme accepta d’observer les paumes des deux jeunes filles. Longuement… puis sibylline, déclara à la cousine d’Aimée :« Toi, tu seras impératrice » il s’agissait évidemment de Joséphine Tascher de la Pagerie –et toi, plus qu’impératrice ».Si le destin de Joséphine est bien connu, celui d’Aimée Dubuc l’est beaucoup moins.  Et le peu que l’on en connaisse relève peut-être plus de la légende que de l’histoire…Elle partit, peu après cette soirée, en France poursuivre son éducation dans un couvent comme il était de coutume à l’époque. A son retour, son navire fut attaqué et saisi par des pirates mauresques au service du bey de Tunis. Dans un premier temps, il se l’attribua comme esclave, mais, subjugué par sa beauté, sa tenue et sa personnalité, il se jugea bien vite indigne de tant de noblesse et l’envoya comme offrande à son suzerain le grand Turc d’Istambul. Celui-ci, tomba également sous le charme d’Aimée au point qu’elle devint vite sa favorite.  La légende se poursuit en lui attribuant la maternité de l’empereur Mahmud 2 et le titre de sultane validé.Le long de la mer, un four à chaux se cache dans la mangrove. Il était utilisé à la fabrication de chaux par cuisson des roches à ravets, ces madrépores qui foisonnent au large. La mangrove a envahi cette baie nommée ‘La baie du trésor». Il est trop tard pour aller à pied au bout de la presqu’île. C’est dommage car il s’agit d’un des coins les plus remarquables de la Martinique.Sur le départ, nous dominons de nouveau cette anse totalement vierge de construction, merveilleusement sauvage. Je ne résiste pas au plaisir de tirer une photo.


Tournons le dos à la mer

Après le côte Est, nous effleurons celle de l’Ouest avant d’attaquer la fameuse route de la trace, programme de la journée. L’année dernière nous n’avions pas visité les jardins de Balata. Et nous l’avions regretté. Avec justesse car il s’agit d’une réelle splendeur. Le résultat de l’amour éperdu pour les fleurs et les arbres d’un botaniste fou, Jean Philippe Thoze. Il a réussi là un étonnant mariage de beauté entre les plantes endémiques et celles d’autres tropiques. Il ne pouvait pas mieux trouver comme endroit que ce coin de paradis aux limites de tous les climats martiniquais et au nom emprunté au règne végétal. Dans la petite maison créole du bureau, on achète une affiche promise à Christine. Puis on reprend la route fameuse de La Trace. Un lacet d’asphalte dans la forêt tropicale humide, dite hygrophile, où les nuages – parfois la pluie, rarement le soleil – baignent une jungle luxuriante. De grands arbres émergent avec force d’une boue végétale huileuse. Tous soutiennent d’énormes lianes qui prennent appui là, et remontent plus loin, plus haut encore comme pour mieux étendre leur ramification telle une gigantesque toile d’araignée. Tout ici fermente. A nos pieds comme sur nos têtes. Chaque coude de branche est propice à l’établissement de vermines et de parasites. Végétaux et animaux naissent et meurent dans un vaste capharnaüm fait d’humus et des cadavres décomposés de carouges, de colibris, d’araignées, de chauves-souris, de mouches, de grenouilles. Un charnier, riche fumure d’où éclate la vie. L’air même, par sa tiédeur corrompue et ses odeurs épaisses y accentue l’irréalité du lieu. Car des effluves divins flottent également par strates ; les arbres à épices aiment se blottir sous le refuge des géants. Le nom des arbres est tout aussi magique : Bois canon, bois rivière, bois flots, pieds-bois-marbri, bois pistolet, mais aussi les acajous, les courbarils, les mahots-cochob, les mauricifs, les filaos, les mahoganis, les gaïacs, les carapates, Parfois, réduisant la route à une rigole d’asphalte, minuscule et ridicule, l’arbre-roi, gigantesque et splendide, le sablier, majesté de la forêt, réduit ses voisins à des herbes folles. Rosine, statufiée, s’extasie en silence à la vue des fougères arborescentes hautes de plusieurs mètres. A leurs pieds des anthuriums, qu’observe attentivement Aimcy…Plus pragmatique, je me demande comment les jésuites ont pu ouvrir une telle route ?

Passé le pont de l’Alma, nous descendons de voiture près d’un chemin qui dévale vers le pied de la cascade du saut gendarme, dans un site aménagé suffisamment sobrement pour en apprécier le naturel. Nous déjeunons là, d’un poulet boucané délicieux. Nous l’avons acheté peu de temps auparavant à l’un de ces nombreux barbecues qui bordent la route et embaument la côte d’effluves d’herbes odorantes. C’est une odeur admirable et d’autant plus appréciable qu’elle est en son site naturel. Un jeune chien affamé nous a suivi et nous débarrasse des os restants.

Les Caraïbes mangeaient une nourriture cuite sur des « barbacoa ». Ils découpaient des morceaux de viande qu’ils plaçaient sur des sortes de claies sous lesquelles ils boutaient le feu. On nommait ces claies, le barbacoa, le lieu ou ils s’adonnaient à ce rite, boucan et le rituel de rôtir et fumer ces pièces de viande ensemble, boucaner. Ces termes furent reprit par les aventuriers européens qui s’adonnaient à la flibuste. Quant aux boucaniers, ils s’agissaient de flibustiers, qui physiquement ou mentalement, ne pouvaient plus exercer cette activité et qui survivaient en chassant et fumant les boeufs ou les cochons sauvages des Antilles pour le compte de la flibuste. Alexandre Olivier OEXMELIN surnommé le chirurgien de la flibuste raconte la façon de procéder dans son livre « les aventuriers et les boucaniers d’Amérique  » qu’il avait publié pour la première fois à Amsterdam en 1678. L’auteur y était appelé A. O. Exquemelin et son ouvrage eut un succès considérable.

« Chacun écorche le cochon qu’il a apporté et en ôte les os ; il coupe la chair soit par aiguillettes, soit comme les femmes en France dépècent la panse des cochons pour faire des andouilles. Quand cette viande est ainsi coupée, ils la laissent sur des bâches et la saupoudrent de sel battu fort menu ; ils la laissent comme cela jusqu’au lendemain, quelques fois moins si elle a prit son sel et qu’elle jette sa saumure ; après quoi ils la mettent au boucan »

On retient volontiers qu’ils avaient la coutume de manger ainsi leurs prisonniers de guerre. Ce qui était admissible par la morale de l’époque se limitait et se limite toujours à la chair animale. L’anthropophagie des indiens ne l’était évidemment pas. Et le rite – avant tout guerrier – des caraïbes devint l’un des nombreux prétextes que les européens – surtout espagnols – utilisèrent pour le génocide perpétré dans toute cette partie du monde. On estime la population indienne des Antilles à plus d’un million d’individus à leurs découvertes. Dix ans plus tard, ils ne sont plus que 12 mille… Aujourd’hui, sous l’influence des ethnologues cette prétendue sauvagerie n’est plus d’actualité. L’anthropophagie n’est plus qu’un élément parmi d’autres de la composante indienne. Appréciant les vertus de la sieste, je me demande bien comment on a pu en arriver à de tels extrémités avec les concepteurs de cette authentique preuve de leur paisible nature qu’est le hamac.

Nous quittons la trace par Fond Saint-Denis, le village le plus fleuri et verdoyant de l’île. C’est d’ici que l’on peut faire l’extraordinaire ballade à pied en direction du Carbet en suivant le canal de Beauregard. Nous émergeons au soleil au pied des pitons du Carbet. De là, nous descendons sur l’ancienne capitale de l’île, Saint-Pierre. Elle tire son nom de celui d’un fort qui avait été construit en 1665 pour défendre le rivage non pas d’envahisseurs venant de la mer mais des incursions des indiens réfugiés sur les hauteurs d’où précisément nous venons.

Le mont pelé, régulièrement encapuchonné d’une masse sombre de nuages, nous domine au nord. « Je le vois briller comme une étoile à l’horizon » ment une chanson populaire… Nous nous arrêtons devant la triste plage de sable noir, qui en écho aux murs effondrés et calcinés de l’ancienne cité, rappelle la colère effroyable du volcan un jour de mai 1902 ; Le jeudi de l’ascension, la nature, ridiculisant cette manifestation d’orgueil catholique, déversa ses boues de lave. Un nuage de feu roula sur ses flancs, anéantissant Saint-Pierre, la doyenne des cités coloniales française, la perle des Antilles…

Avant 1902, la jungle envahissait toute la robe de la Montagne Pelé. Enchâssée sur la crête elle-même, un lac brillait et reflétaient les palmistes, les mousses et les lycopodes.qui le ceinturaient tel un écrin.

Arrivés à la pointe Sainte Marthe, près de Saint-Pierre, nous prenons un peu de sable pour une amie collectionneuse. La rade de Saint-Pierre est majestueuse dans son arc de cercle parfait. Mais elle est aujourd’hui, comme hier et probablement demain, vierge des cargos qui faisait la richesse de la ville. C’est précisément la beauté du lieu, et sa pureté dans la forme qui lui fit perdre son statut de capitale. En 1673, le gouverneur général des Antilles, le comte de Blénac transféra le siège du gouvernement à Fort-Royal, un site beaucoup plus protégé.

Il est aujourd’hui possible d’effectuer une plongée parmi les épaves de bateaux coulés lors de l’éruption du Mont Pelé. Le prix, 470 francs, nous en dissuade. Mais à tout prendre, j’aurai probablement dû céder à la tentation, car le temps aidant, nous serions rentrés sur le Marin beaucoup plus tard m’évitant ainsi un contrôle de la gendarmerie et un procès-verbal pour excès de vitesse. Pris en sandwich entre deux véhicules procédant à un dépassement, je fus le seul signalé par radio à un groupe de gendarmes qui plus loin m’attendaient. Malgré mes tentatives d’explications, rien n’y fit et je fus contrains de payer huit cents francs d’amende, et le vol pur et simple d’un des points d’une collection qui s’amenuisait dangereusement. Sur le coup, je fus tenté de n’y voir qu’une trace de racisme à l’encontre des métropolitains, touristes de surcroît. D’autant que les deux véhicules qui m’enserraient étaient conduits par des antillais tout comme les gendarmes qui me verbalisaient… Mais tout compte fait, le raciste n’est-il pas celui-là même qui traite de raciste toute personne de race différente qui se permet avec justesse d’émettre une remontrance justifiée. J’étais en faute et doublement par ma réaction primaire et ridicule. Oublions le tout.

Une journée familiale.

Nous avons fait la grasse matinée, nous prélassant éveillés dans nos lits. De toute façon, les bruits des quelques chalands qui discutent sous nos fenêtres nous empêcheraient de sommeiller. Ils profitent avec justesse de l’intense et large ombre d’un arbre à pain planté devant l’hôtel. Il est sombre et majestueux dans son équilibre. Des arbres fruitiers, il est le plus beau. De sa chevelure glabre, épaisse, émergent de gros fruits ronds et verts. Cuits, ceux-ci produiront une fécule farineuse rappelant le pain. Avec quelques larmes de beurre d’avocat, accompagné d’un bon café, face aux frémissements de l’eau calme du lagon, ils transportent nos petits déjeuners au temple des renommées gastronomiques. D’autres arbres véritables mannes adoucissent la pauvreté tropicale, le cocotier ou même le palmiste comme le signalait déjà le Père Labat :

« Le palmiste est un arbre très commun dans toute I’Amérique. Il vient droit comme une flèche, et haut souvent de plus de trente pieds. Ses feuilles ou ses branches viennent comme une gerbe à sa cime et le couronnent. On emploie ces arbres à trois sortes d’usage. On s’en sert pour se nourrir, pour se loger et pour faire des cordes, des corbeilles, des nattes. des lits et autres nécessités de ménage. Quand le palmiste est abattu, on coupe sa tête à deux pieds ou deux pieds et demi au-dessous de l’endroit où les feuilles prennent naissance, et après qu’on a ôté l’extérieur on trouve le coeur de l’arbre, ou pour mieux dire des feuilles qui ne sont pas encore écloses, pliées comme un éventail et serrées les unes contre les autres, blanches, tendres, délicates, et d’un goût approchant celui des culs d’artichauts. On les appelle en cet état choux palmistes. On les met dans l’eau fraîche, et on les mange avec le poivre et le sel comme les jeunes artichauts, ou bien on les fait bouillir dans l’eau avec du sel et après qu’ils sont égouttés, on les met dans une sauce blanche comme les cardons d’Espagne. On les accommode encore comme des beignets en les trempant dans une pâte fine, et les passant à la poêle, avec l’huile ou le beurre, ou bien encore on les fait frire comme du poisson, après les avoir passés par la farine. On les met dans la soupe : ils lui donnent un très bon goût; enfin on les mange en salade après qu’on a développé toutes les feuilles. De quelque manière qu’on s’en serve, elles sont très bonnes et très délicates, c’est une nourriture légère et de facile digestion, de sorte qu’on le peut appeler une véritable manne pour le pays. Lorsque le palmiste est abattu, et qu’on n’a pas besoin de son tronc, on y fait avec la serpe ou la hache plusieurs entailles le long du tronc, afin que certaines grosses mouches qui produisent des vers puissent entrer dans le coeur de l’arbre, en manger la mœlle, et y laisser leurs oeufs qui s’éclosent et forment des vers. Il faut avoir soin d’aller au bout de six semaines voir l’arbre qu’on a entaillé. On le fend dans toute sa longueur et on trouve ces vers dans la mœlle. Quand on néglige d’y aller environ ce temps-là, on ne trouve plus de vers ; il faut qu’ils aient changé de figure comme les vers à soie et qu’ils soient devenus mouches. On me fit manger ces vers de palmistes. Ils sont de la grosseur du doigt, et d’environ deux pouces de longueur.

On ne remarque dans le corps de l’animal aucune partie noble, ni entrailles, ni intestin. La manière de les apprêter est de les enfiler dans une brochette de bois pour les tourner devant le feu ; quand ils commencent à s’échauffer, on les saupoudre avec de la croûte de pain râpée mêlée avec du sel, un peu de poivre et de muscade cette poudre retient toute la graisse qui s’y imbibe. Quand ils sont cuits on les sert avec un jus d’orange ou de citron. C’est un très bon manger, et très délicat quand on a une fois vaincu la répugnance qu’on a pour l’ordinaire de manger des vers, surtout quand on les a vus vivants »

C’est de tout temps que les vers palmistes ont été un mets recherché. Et notamment par les hindous comme le rappelle Elien un écrivain grec du troisième siècle. Il en parlait en ces termes dans son ouvrage « Les particularités des animaux » : « Au dessert, le roi des indiens ne se régale pas comme les Grecs du fruit des palmiers, mais il se fait servir les vers gras et dodus qui naissent dans l’intérieur de ces arbres. Ces animalcules, rôtis en fricassée, sont, dit-on, parfaitement délicieux ». Il faut surtout se rappeler que le ver palmiste se nourrit exclusivement d’une moelle végétale propre, saine et succulente puisque le féculent de son cœur connu sous le terme de « sagou » est toujours apprécié. Et ce n’est pas son aspect de chenille qui doit nous rebuter, nous qui apprécions tant les escargots…

Nous mangions souvent chez Gérard et Nadine. Cela présentait de nombreux avantages. D’une part nous pouvions aller nous coucher aussitôt le repas pris et d’autre part il nous était particulièrement agréable de prendre une douche à nos retours d’escapade et avant de nous désaltérer de somptueux punchs que Gérard préparait chaque soir en prenant la précaution de les conserver au frais. Le jus délicieux de la Goyave y faisait oublier l’alcool et la chaleur tout en nous incitant à une régalade traîtresse. La carte de Nadine nous invitait à sauter d’un plat du Sud-Ouest français aux plats typiques créoles. Et quand la faim s’était estompée sous la canicule, d’exotiques salades calmaient avec fraîcheur le vide de nos estomacs. Aujourd’hui, nos cousins ont fermé leur restaurant comme tous les mercredi matin. Mais cette fois-ci Nadine en profite pour nous inviter. Sa cuisine nous est toute réservée et nous nous régalons :

–                 Huîtres de Jean-François et Monique

–                 Fois gras de Tonton et Tati

–                 Poisson rouge de Nadine

–                 Sancerre de Gérard.

Un colibri – dont le nom est d’origine caraïbe – virevoltant autour des bananiers du jardin qui prolongent la salle, nous accompagne dans nos agapes. Cet oiseau, symbole d’une Martinique travailleuse, sans relâche et sous une robe merveilleuse, passe inlassablement d’une fleur à une autre pour y sucer le nectar floral. On l’appelle ici le foufou, quelque soit sa couleur. Au fur et à mesure du repas, nous avons d’autres visites. Quelques représentants commerciaux défilent et prennent, qui un rhum, qui une large portion du mombin que l’on appelle ici poisson rouge tout simplement… Je ne vois guère le temps passer en cette ardente et donc arrosée convivialité. Le soir approchant, Gérard nous invite à dîner chez un chinois de Fort-de-France… Mais là, c’est trop ! La bombance de l’après-midi nécessite plutôt une activité physique. Je propose à mon jeune neveu de l’accompagner à une soirée de « jeunes ». Sur le chemin, nous profitons de l’air doux comme beaucoup. La également comme partout maintenant dans le monde, de Harlem aux banlieues parisiennes, des faubourgs de Shanghai aux favelas de Rio, des jeunes ‘rappeurs’ désoeuvrés déambulent baskets au pied, casquette retournée, tee-shirt violacé et noir, regard méprisant et radio aux formes rebondies sur l’épaule, gueulante dans un rythme marqué des musiques nord-américaines diffusées dans le monde entier… Parfois mon neveu rencontre un de ses amis et engage un dialogue en créole que rythment de larges mouvements de bras et que concluent des mouvements compliqués de claques sur les mains parfaitement synchronisées. Et comme si ces mouvements de plus en plus fréquents l’appelaient, une musique enfle et roule le long des flans de la colline du Marin. Prenant de l’ampleur, elle s’élève et tait les cris des grenouilles criardes de la nuit.

« Ay, le bamboula… Viens ! »

Nous remontons la rue Duquesnay. Ici, comme un peu partout, chaque vendredi soir, on improvise des zouks où éclate et se déchaîne une musique proche des biguines, des mazurka et des gwoka antillaises. L’influence de la culture afro hispanique des calypsos et salsas cubains ou jamaïquaines s’y immisce avec complaisance. Tous s’approprient le naturel de ces thèmes musicaux issus du croisement des musiques africaines et des comptines françaises. Là est la fête. Débridée. Et toutes ses représentations y sont assimilées dans un éclectisme plus caractéristique de cette âme insulaire antillaise, avec des relents artistiques haïtiennes et des effluves imprégnés de vaudou. Les jeunes semblent sensibles à ce retour de la tradition et de l’authenticité. Se reconnaissent-ils dans la vérité des improvisations d’un peuple mutilé de ses chants ? Car ces fêtes ne sont-ils pas aussi l’exutoire de la souffrance ? Quant aux rastas anglo-jamaïcains, porteurs d’un prétendu message divin, ils semblent sur le déclin, prêts à reprendre la mer. L’Amérique est plus au nord ! Mario Canonge, disciple du grand Marius Cultier ou Pierre Edouard Décimus, fondateur de Kassav, ont trouvé des sources d’inspiration toutes proches et n’ont guère à faire appel au grand frère éthiopien… Nous ne croisons plus personne. Dans le même élan, nous nous dirigeons tous vers la place fortifiée qui domine le Marin, vers ce bamboula que d’aucun au siècle dernier – mais surtout les blancs – évoquait avec horreur ; une représentation démoniaque de la perversion naturelle des noirs dont on parlait longuement dans les salons parisiens. Avec frissons mais ardeur, et à tel point que le mot même de bamboula devint péjoratif. En janvier 1878, dans l’un des tout premiers numéros du journal des voyages, E. Corbière en parle. Et à le lire, on voit mieux ou se trouve la perversion. Non, on n’y danse pas, on s’y agite et avec délire, fureur. De grands noirs presque nus, y frappent des tambours avec convulsion dans une mesure infernale. Un commentaire précise qu’ils sont tous voleur, paresseux, empoisonneurs. Leur figure est contractée si horriblement qu’il aurait été difficile d’y trouver encore quelque chose d’humain dans leur physionomie si bouleversée. L’un des guides de l’auteur en rajoute : « Vous ne sauriez croire combien cet exercice excitant de la danse prédispose nos nègres à accomplir les desseins les plus pervers ». Cette explication lui suffit pour définir le bamboula comme infernal. Il conclut pourtant son article d’une façon surprenante : «Si jamais vous allez aux Antilles, n’oubliez pas d’aller voir le bamboula : l’Opéra, avec toutes ses pompes factices, est bien loin de valoir un tel spectacle ».

Quoi qu’il en soit, ce que j’entends d’ici m’inspire une joie de vivre intense.

Jour de repos.

Après la bombance de la veille, jeûne et farnienté aux Salines.

La plage est bordée de nombreux palmiers et de quelques mancenilliers – et non de manceliniers comme les appellent les gens du coin. Ils sont tous ceinturés d’une trace rouge ; une alerte. Cet arbre possède une sève particulièrement toxique. Il vaut mieux éviter de se protéger sous son ombrage ; la moindre pluie fera ruisseler une eau empoisonnée… Gérard me raconta qu’un jour, au sortir d’un bain en mer, il s’était simplement étendu sur quelques feuilles mortes de mancenillier qui l’avaient violemment brûlé. Les indiens caraïbes fendaient son écorce afin d’en recueillir la sève dont ils enduisaient la pointe de leurs flèches afin de les empoisonner. Les fruits de cet arbre ressemblent à de petites pommes vertes qu’il vaut mieux ne pas goûter. Le nom de l’arbre vient de l’aspect de ces fruits ; Manzana qui signifie pomme en l’espagnol.

Jacqueline, une martiniquaise d’origine indienne nous a accompagnés dans cet espace de ‘farnienté’. Elle tente de vendre des maillots de bains, des saris  et des accessoires en soie. Les filles sont intéressées. Puis on en vient à bavarder de choses et d’autres. Nous parlons de chaleur. Elle en vient à me parler de la cérémonie du Houdambary aujourd’hui disparue qu’elle espère bien un jour retrouver aux Indes. Elle va tous les ans acheter du tissu et des vêtements de plage à Bali qu’elle revend ici sur les plages. Et elle espère bien qu’un jour elle aura suffisamment de temps et d’argent pour faire un saut près de Mumbai ou de Hyderabad pour vérifier l’ordonnancement de cette cérémonie que les coolies pratiquaient encore ici au début du siècle. A l’époque, cette manifestation se déroulait sur trois jours.

Le premier jour lorsque la sècheresse se prolongeait au printemps, les coolies employés sur les plantations, réalisaient un mannequin représentant « Soukrien » le Dieu de l’eau. Puis ils le promenaient dans les champs de cannes afin de lui montrer la ruine et la désolation qu’entraînait sa paresse. Ils le suppliaient tout en marchant d’ouvrir les « portes de l’eau ». Puis, petit à petit, sous l’emprise de la colère le traînaient et le tiraient avec des cordes dans la poussière afin de le punir.

Le deuxième jour, ils le plantaient face aux champs afin qu’il contemple les plans brûlés par le soleil en l’invectivant : « Houdambary, Houfambary ! ».

Enfin le troisième jour, si la pluie ne venait toujours pas à tomber, Soukrien était de nouveau traîné sous les injures et les menaces par tous les sentiers de l’habitation. Puis dans un coin écarté de tout, il était roué de coups de « coco-macaque » et abandonné après une dernière injure. L’endroit était alors soigneusement évité par tous de peur d’y rencontrer le Dieu outragé !

Je signale à Jacqueline les doutes que je porte sur cet étonnant effet du hasard qui réunit de l’autre côté du continent trois choses d’origine indo asiatique ; les coolies, le Dieu Soukrien et la canne à sucre… en rajoutant que la canne ne pouvait qu’appeler à terme les hindous et leurs croyances. Avec un sourire, elle répond qu’elle aussi va rejoindre son monde. Puis elle se relève, attrape son paquet de sari et de maillots de bains et s’éloigne sur la plage en haranguant chaque groupe de touristes. Je l’observe longuement de loin. De temps en temps, sous quelques signes d’intérêt, elle s’arrête devant l’un d’eux et démontre l’utilité et la beauté de ses vêtements en les enfilant…

Nous ne nous levons le soir que pour aller dîner dans un restaurant créole bordant la plage du Diamant.  Sans être exceptionnel, nous passons une agréable soirée à nous pourlécher de colombo de poulet, de chatrou – une petite pieuvre locale particulièrement recherchée par les cuisinières et qu’elle préparent divinement – de sardes créoles et de fricassées de lambis. Le ressac accompagne en sourdine la radio locale. A quelques mètres, trois hommes dînent. Leur conversation est retenue. On pourrait croire qu’ils n’osent troubler le chant du feuillage qui bruisse sous les risées des alizés. Quelques phrases saisies troublent la paix ambiante.

– C’est un pays pourri ! dit l’un, puis chuchotant, mais j’ai tendu l’oreille

– Donnez leur l’indépendance et ce sera pire qu’à Haïti.

– Tenez, et il plonge sa main dans une poche révolver d’où il tire un portefeuille fripé. Il en extrait une feuille de papier aux pliures jaunies et grasses et lit :

« Si je ne craignais de passer pour un alarmiste je rappellerais à propos de ces noirs l’histoire d’Haïti et les orgies repoussantes de l’empereur Soulouque. Un pays abandonné aux nègres ne tardera pas à devenir le théâtre des scènes à la fois grotesques et sanguinaires que peuvent seuls inventer la démagogie, le despotisme d’un Caligula ou la sauvagerie africaine ».

Puis il replie précautionneusement son document et le range. L’un de ses vis-à-vis coupe le silence qui s’est installé.

– Caligula était blanc que je sache.

– Ouai ! En tout cas, ce truc là a été écrit il y a plus d’un siècle et regarde ce qui se passe chez les tontons macoutes. »

Je laisse tomber cette écoute indiscrète. Un des mes amis de Paris, à l’origine indépendantiste m’avait confié le désarroi qui l’avait frappé lors de séjours dans d’autres îles des Antilles. Il avait constaté les alternatives peu réjouissantes que réservait le monde au Caricom, ce marché commun de « l’arrière cour » des États Unis. Un monde hispanique tenté par la révolution moribonde cubaine ou le relais clandestin de la pègre américaine, qui s’attache à introduire au pays du roi dollar, drogue ou immigrants illégaux.

« Dans un cas comme dans l’autre, sous prétexte de salut national, les forces américaines interviennent. Y-à qu’à voir le débarquement des ‘marines’ à Grenade, les interventions des agents anti-drogues dans les eaux territoriales et l’espace aérien des pays du bassin caraïbe. Et je ne te parle pas des pressions de l’Organisation Mondiale du Commerce contre les pays européens qui accordent leurs préférences aux bananes antillaises … Puis il avait conclu

– enlève leur la banane et il ne leur restera plus qu’à planter de la marijuana.

Tout est calme.

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Découverte de la capitale.

Fort-De-France ne présente guère d’intérêt. Il est vrai qu’elle fut détruite un nombre de fois incalculable. En 1724, inondation. En 1762, épidémie de fièvre jaune. Cyclones en 1766 et 1767. Quatre ans plus tard, un tremblement de terre. Puis de nouveau en  1817 un cyclone. Et encore un tremblement de terre le 11 janvier 1839 qui détruit la ville totalement et lui font perdre définitivement la force et l’élégance que lui donnait cette lente croissance d’une société moins populeuse que Saint-Pierre. Une nouvelle épidémie de fièvre jaune ravage toute la colonie. Le contre-amiral Aube, gouverneur de la Martinique depuis décembre 1879, fait des prouesses pour endiguer la maladie qui finalement le frappe personnellement. Il en réchappe, mais tenace, la maladie emporte son épouse. Un incendie – pour changer un peu – ravage le 2 juin 1890 les deux tiers de la ville reconstruite à la hâte. Plus tard, le 19 septembre 1891 et le 9 août 1903, les quelques restes originels sont balayés par des cyclones. Enfin plus récemment, en 1953, un nouveau tremblement de terre… Belle collection de catastrophes. Et quelle constance des habitants ! Malheureusement, on ne trouve plus aujourd’hui que l’ordonnance géométrique des agglomérations bâties à la va-vite comme les cités insipides des Etats-Unis.

Fort-de-France a été désirée dès les premiers colons. Jacques du Parquet a recherché longtemps un site capable d’offrir un port adjoint de défenses naturelles. Dès 1638, il continua son œuvre d’aménagement de la côte et fît bâtir face au carénage des défenses qu’il nomma fort Saint-Louis. Le 20 juillet 1674, Fort-Royal, qui ne porte pas encore le nom de Fort-de-France, est une petite bourgade. Le fort n’est occupé que par 160 hommes, militaires, marins, miliciens lorsqu’elle est attaquée par l’escadre de l’amiral de Ruyter. 48 vaisseaux et frégates armés de 1142 canons et contenant 7722 hommes.  Tellement imbus de leur supériorité, les officiers ont en poche leur brevet de gouverneurs des différentes îles françaises. Mais, un vaisseau surgit à revers émergeant du cul de sac et ses 34 canons font feu sur la flotte batave. C’est le navire « Les Jeux » qui vient de jouer un bon tour. Le capitaine d’Amblimont vient de signer la plus grande surprise de l’histoire navale en tuant par surprise 774 ennemis et en brisant l’assaut d’une invincible armée.

Je me demande, pragmatique, ce que nous pouvons bien faire ici ! Le rare monument intéressant, la bibliothèque Schoelcher, n’a même pas vu le jour ici. Œuvre de l’architecte Henri Picq, elle fut construite à Paris à l’occasion de l’exposition universelle de 1889 où elle n’abrita pas le pavillon des Antilles comme il est souvent dit. Les Antilles s’étaient en fait exposées près de l’Arc de Triomphe du Carrousel et non au Champ de Mars. Remontée ici en 1893 à l’emplacement de l’ancienne résidence des Beauharnais, elle abritait à l’origine les 10 000 volumes de la propre bibliothèque de Victor Schoelcher mais aussi le virus de la peste comme des mauvaises langues, probablement mal intentionnées quant à l’éducation des foules, en avait fait courir le bruit. Détruite par un incendie au début du siècle, plus aucune mauvaise foi ne peut être invoquée pour la découvrir.

Quel français métropolitain connait Victor Schoelcher ? Il faut la plupart du temps l’occasion d’un séjour aux Antilles pour découvrir cette immense figure de l’histoire. Schoelcher y avait entrepris des voyages en 1840 afin d’étudier les conditions de l’émancipation des noirs en particulier dans les colonies anglaises. Dès lors il n’aura de cesse de lutter pour son abolition. Il devient l’un des acteurs majeurs du courant abolitionniste. Son courage et sa plume sont mis au service de la dignité et de la liberté humaine et il publia ses études en particulier dans un mémoire réclamant « l’abolition immédiate de l’esclavage » en 1842 et dans « Colonies étrangères et Haïti » publié par Pagnerre à Paris en 1843.

Son objectif est atteint en 1848, lorsque sous-secrétaire d’état chargé des colonies, il décrète l’abolition le 27 avril. Elu député à la fois en Martinique et en Guadeloupe, il opte pour la première afin de permettre à son suppléant Louisy Mathieu, guadeloupéen, de devenir le premier député noir de Guadeloupe et de l’assemblée Nationale. Opposant du coup d’état du deux décembre, Victor Schoelcher s’exile en Angleterre et ne rentrera en France qu’à la chute du second empire. Auguste Perrinon, premier polytechnicien de couleur et ami personnel de V. Schoelcher est dépêché en Martinique, pour lutter contre la résistance des planteurs à l’application de cette réforme. Quand à Schoelcher, élu sénateur à vie en 1875, il meurt à Houilles en 1893. Sa dépouille gît aux Invalides.

En fait la conscience, sinon des colons du moins celle de certains politiques français, de l’inhumanité de l’esclavage est antérieure à cette date. Dès la révolution française, l’abolition de l’esclavage avait été – pour peu de temps – un thème cher à certains leaders politiques. De violentes dénonciations de l’esclavage avaient été publiées pendant le siècle des lumières. Dès 1770, le jésuite Guillaume Thomas Raynal, aidé notamment par Diderot l’avait vilipendé dans une histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des européens dans les deux Indes. Diffusé largement et souvent anonymement, son « histoire des deux Indes » avait reçu un accueil flatteur qui se transforma en un large succès de librairie. Raynal en publia d’ailleurs une seconde édition en 1774 et ses opinions sur la question se radicalisèrent en 1780 dans une ultime édition augmentée. A la même époque, Le Mercier de La Rivière, l’un des théoriciens de la physiocratie, avec Quesnay, Montesquieu ou encore Mirabeau, avait développé et mis en pratique ses théories à l’occasion de sa nomination comme intendant à la Martinique entre 1759 et 1763. Brillant administrateur, il allait publier dans un ouvrage intitulé « L’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques » une brillante synthèse de sa pensée relative à l’ordre naturel et des droits qu’il impose, en particulier de la liberté. Dommage que ce dernier aspect fut occulté par les thèmes qui donnèrent naissance au concept du libéralisme. Je constate à la faible clarté de mes connaissances disparates qu’à l’inverse des littéraires, qu’ils soient politiques ou philosophes, les scientifiques n’ont guère défendu le moindre humanisme. Espérons que je me trompe. Quoique ; Buffon le naturaliste du siècle des lumières écrivait : « nous ne devons nous attacher qu’à la nature des animaux qui nous ressemblent le plus ». Par cette phrase, il n’acceptait l’étude que d’une nature ‘civilisée’ : être vivant dans un contexte règlementé et ordonné. Comme si seuls comptaient les jardins à la française, d’où tout ‘sauvage’ était exclu.

Dans la vieille ville, nous ne nous sentons pas à l’aise. L’attitude des commerçants augmente cette gène. Marie-Claude tente d’acheter un ananas à une commerçante qui a décidé de l’ignorer. Cédant à son insistance, elle daignera répondre sans la regarder. Plus loin, prenant une photographie d’un étalage multicolore, une antillaise se cache le visage puis me lance un regard furibond. Au marché aux poissons, Rosine a une altercation avec un pécheur, qui refuse également la prise d’une photo malgré l’accord passé avec son épouse. Ce que tente d’expliquer Rosine. L’homme lui coupe la parole et brandissant un coupe-coupe, émet rageusement des propos racistes. Nous n’insistons pas et continuons notre promenade.

Ce marché ne présente que bien peu d’échoppes. Bien que d’une grande réputation, imméritée à notre sens, nous lui préférons le marché aux fruits et légumes beaucoup plus riche en couleurs et odeurs. La plus grande curiosité est dans l’étalage que proposent tous ces commerçants venus semble-t-il de la campagne. Même le sol est jonché de fruits, fleurs, graines et légumes. Et chaque commerçant propose des décoctions diverses à base de rhum et de plantes.Nous trouvons un escalier qui nous permet de monter sur le mur qui enserre la rivière Madame où les pécheurs déchargent leurs produits. Il n’y a que peu de barques. Soit nous sommes arrivés trop tard, soit le marché a perdu la superbe qui faisait sa réputation autrefois. Le lit de cette rivière était capricieux ; soit désespérément tari, soit allègrement envahisseur, inondant les terrains alentours qu’il transformait en marennes infectes. Grâce aux travaux de l’Amiral de Gueydon, elle fut asséchée par les fantassins du régiment du Périgord. Ils édifièrent en 1706 ces murs qui canalisèrent la rivière, mais la fièvre jaune en emporta les trois-quart. Cet ancien marécage permit d’offrir une grande surface à l’extension de la ville.

Celle-ci prit également de l’ampleur du côté de la pointe Simon du nom de Simon Chovot, un avocat propriétaire des lieux, et de la Savane appelée ainsi car il est de tradition espagnole de désigner les prairies des tropiques de la sorte. Bénédict-Henry Revoil, l’un des principaux journalistes du « Journal des voyages » en donne une raison en 1879 : « Le temps était fort calme, et les herbes desséchées par le soleil n’étaient pas même agitées par une brise légère. On eût dit un linceul de toile bise jeté sur une immense étendue de terrain. C’est sans doute à cause de cette ressemblance que les Espagnols ont donné aux plaines de l’Amérique du Sud le nom de savane (sabana) qui veut dire « drap de lit ».En fait ici, près du centre de la ville, il s’agit d’un grand parc verdoyant. Les français avaient gagné sur la mer une grande étendue au profit de cette esplanade permettant d’assurer un découvert au cas où l’ennemi attaquerait le fort tout proche à revers. Aujourd’hui, c’est une promenade toujours séduisante. Face à elle, le plus grand voilier du monde « Le Club Méditerranée » a jeté l’ancre dans la baie des flamands. Les quais sont parcourus par des groupes d’américains aux femmes maquillées, toutes chaussées de tennis blanches. Récemment débarquées, elles se précipitent vers la Savane pour y faire leurs emplettes de souvenirs. Côté mer, de nombreux achalandages proposent tous les souvenirs, atypiques de la Martinique mais communs aux îles Caraïbes. Un vaste parterre de gazon prolonge ce marché. Quelques chemins le parcourent menant à des groupes d’arbres majestueux par leur envergure, mais semble-t-il maladifs, faisant ressentir la pollution et la saleté de la ville. Petit à petit, cela s’améliore. Ainsi le tout-à-l’égout est heureusement aujourd’hui installé. Au début du siècle, il était fréquent de croiser le long des rues de fortes femmes du service municipal des ‘tinettes’ sur le chemin des plages, portant sur la tête d’énormes pots de terre contenant les immondices et déjections de la population… Près du port, des déesses sculpturales noires, les charroyeuses de charbon, appelées autrement les charbonnières, vidaient les soutes des cargos en riant, chantant ou se chamaillant à grands cris. Par temps de fortes chaleurs et de brises, les émanations des unes et la poussière que soulevaient les autres devaient couvrir tous les parfums qu’on évoquent plus souvent à propos des tropiques. Toutefois, cela ne cachait rien aux regards concupiscents des jobeurs, les rois du bitume qui tiraient à tout allure leur charrette à bras, portant contre menue monnaie des bagages de voyageurs, des colis divers et les paniers des commerçants descendus des mornes. Les jobeurs sifflent les belles femmes, font de gros yeux aux enfants qui s’effacent aussitôt sous un sourire quand ceux-ci apeurés baissent la tête, raillent les passants et donnent aux rues une vitalité joyeuse. Jober voulait dire en français railler, comme Job le fut par son épouse. Mais si les jobeurs le font, c’est non pour se moquer et plus pour flatter…

Je regardais ce morne Pichevin chanté par Raphaël Confiant et bien différent de ces textes. Il s’estompait lentement dans la brume. « J’étais allongé sur mon lit. Face à moi, une fenêtre haute ne me laissait observer que les hauteurs lointaines de la ville. Dans la chaleur épaisse, un rythme (musical caraïbe) faisait vibrer imperceptiblement l’air. Dans l’encadrement de la fenêtre, la luxuriance des couleurs s’était noyée dans une opacité lumineuse. Les détails qu’ils soient naturels, topographiques ou artefacts avaient brusquement disparu. Seule la balafre de la crête du morne tranchait encore la nappe blanchâtre des nuages. La couleur s’y était noyée. Le sommet d’un arbre à pain en était la seule faible réminiscence dans le contre-jour du crépuscule. Je sommeillais les yeux mi-clos. Mais toujours cette fenêtre de lumière diffuse tachée de vert sur le côté restait imprimée sur la pupille de mes yeux. A la frontière du sommeil et de l’éveil, je crus que la vie s’était arrêtée. Plus aucun bruit, plus aucun relief et ce pastel délavé d’un rêve amorphe… Où était la réalité ? C’est un bruit imperceptible qui troubla ce calme irréel. Le tableau n’avait pas changé. Le morne et les nuages assemblés étroitement sous le voile de brume. La frondaison diffuse de l’arbre à pain qui y apparaissait… et ce bruissement mécanique. La réalité de la nature ne revint que lorsque après m’être enfin décidé à me lever, apparut à mes yeux engourdis un toit de tôle que griffaient les gouttes épaisses d’une soudaine pluie tropicale ».

Sur l’esplanade de la Savane, la statue de l’impératrice Joséphine sculptée dans un marbre de carrare d’une blancheur de neige est décapitée. La manifestation d’un racisme primaire de quelques désoeuvrés dénonçant le symbole d’une époque révolue au profit d’une société à laquelle ils ne peuvent plus guère prétendre. Ils s’attachent plus à cette couleur abstraite, diffuse et trompeuse comme celle du morne de mon engourdissement. Ne sont ils pas au contraire et c’est de cela qu’ils devraient s’enorgueillir l’oeuvre de l’amour, même et surtout, s’il fut si souvent défini comme contraire. Une toile de Gustave Alaux exprime toute la beauté mais aussi la détresse et la faiblesse de l’homme en ce territoire de rêve : Sur une plage ensoleillée un homme blanc enlace une femme noire. Des marins attendent en les observant, patients sur une barque près du rivage. Au loin, un navire au mouillage.L’oeuvre s’intitule « La Cruelle Séparation

». Quant à la tête séparée de l’impératrice, elle est aujourd’hui au musée de la Pagerie. A la décharge de ces « vandales révolutionnaires », il faut savoir que sous la pression de Mirabeau, La Fayette, Lavoisier, Volney, Brissot de Warville, Pastoret, Sieyés, les fondateurs de la Société des Amis des Noirs qui cherchait les moyens de les émanciper et l’abolition de la traite et de l’esclavage, la convention avait aboli l’esclavage le 4 février 1794. Hors en mai 1802, Joséphine réussit à convaincre Napoléon de rétablir cette monstrueuse ignominie afin que, sans doute, la plantation familiale puisse recouvrer de sa grossière et dérisoire superbe. 1794 1802, une petite décennie de liberté que les martiniquais ne connaîtront pas puisque entre ces deux dates précises, l’île était sous administration anglaise…

En somme une rancœur légitime… exprimée avec excès. Quelques siècles trop tard.

Le feu couve encore. Que la première libération officielle d’esclaves eut lieu ici importe toujours peu. On s’approprie les symboles du passé face à l’absence de preuves concrètes d’un mal de vivre général : sida, chômage, manque d’espoir, destin diffus. Peut-on en vouloir à ces hommes et ces femmes ? Qu’ils jouissent aujourd’hui d’une langoureuse liberté qu’enfante ce monde enchanteur suscite la jalousie. Il est toujours et encore porteur du cauchemar esclavagiste. La malédiction de ces hommes pourrait sembler éternelle. Aujourd’hui, où il y a peu encore, on dénigre cette langueur joyeuse. Louis Chadourne, dans un livre au titre déjà douteux, le « pot au noir » écrivait : « Les hommes d’ici n’ont ni l’énergie européenne, ni le raffinement oriental, ni la vitalité africaine. Ce ne sont plus de ces grands enfants doux et cruels, tels les Sénégalais. Ce sont des bâtards, au sang épuisés par trop de mélanges, aptes à s’assimiler les tares et les ridicules de notre civilisation, impuissants à réaliser quelque chose de grand. Danser au son du tam-tam, se parer, cueillir des bananes et des noix de coco, parler politique, voilà les occupations auxquelles ils sont particulièrement propres. Les femmes jacassent, se disputent, ardentes à l’amour et portées à la boisson, plus acharnées que les hommes aux luttes politiques. Ce sont des bacchantes du suffrage universel, toujours prêtes à déchirer un candidat ou à l’anéantir de caresses. Toute notre idéologie européenne sonne comme un grelot dans ces cervelles qu’elle emplit d’une rumeur confuse. Mais les instincts sont violents ; les désirs et les haines surchauffés, les mains promptes aux coups et au poison.

Colonies lointaines, arrières provinces où vit un si curieux amalgame de traditions, de sorcellerie et d’école primaire ; peuple puéril et sournois, violent et peureux, hâbleur et discoureur, paresseux et avide ; cités ou règnent le mensonge, l’hypocrisie et la délation ; village de la jungle où l’on rythme sur le tam-tam la déclaration des droits de l’homme et du citoyen… »

LE MÉTISSAGE

Il est vain et stupide de comptabiliser cette longue succession de métissages ; arawaks, caraïbes, esclaves noirs d’ethnies diverses, békés blancs, engagés des ports de la Manche, coolies indiens et chinois… Des fils d’esclaves et d’esclavagistes, des enfants de nobles et de roturiers, la progéniture des possédants, des serviteurs et d’aventuriers. Il n’est plus possible de désigner quelqu’un sous les termes de blanc ou de noir. La multiplicité de chaque individu en est l’ineffable garant ; même si la langue s’est enrichie naturellement de nouveaux mots pour classifier souvent plus une apparence physique qu’une quelconque proportion raciale.

Aujourd’hui le nègre griffe désigne un métis de noir et blanc au teint et aux cheveux rougeâtres. Pour peu que sa peau soit claire et ses cheveux roux, il s’agit d’un chabin. Et si son teint est plus foncé, ses cheveux ondulés, on parle d’un câpre ou d’une capresse. Il y en a d’autres ; les hommes-guinée, les nègres-congo, les négresses-rouges. On détaille même, on fignole et on parle de capresse-gros-cheveux ou trois sangs, caraïbe-kouli-béké, mulatresse-kalazaza, négresse-caraïbe… la liste se décline à l’infini, avec bonheur… Quand on fait référence non pas à la couleur de la peau mais aux origines, on parle de pays mulâtre, pays-béké, pays-kouli, blanc-pays, malabar, pays kongo ou nèg-terre… C’est beaucoup plus juste que les termes de classification raciale tel que quarteron… employé par le passé. Dans la langue des békés, les termes de mulâtre, capre et autres étaient plus restrictifs et possédaient l’ignoble relation de l’origine des sangs. Le mulâtre désignait l’enfant né d’une mère noire et d’un père blanc (il n’y a bien évidemment pas de terme pour l’inconcevable, c’est à dire l’inversion de couleurs des parents). Si cet enfant était une fille, une mulâtresse, qui s’alliait à un noir, l’enfant conçu était appelé un capre. De sexe féminin, la capresse donnait avec un époux noir, un griffe. Dans le cas contraire, une mulâtresse alliée à un blanc produisait un mestif, et la mestive alliée de nouveau avec un blanc accouchait d’un quarteron…

La boucle était bouclée et cette comptabilité se perdait dans les limbes de la stupidité.

Les mulâtres – au sens général – ont prouvé les limites de la stupide référence raciale. Il s’agissait de la classe intermédiaire entre les planteurs blancs et les esclaves. Ils descendaient directement ou indirectement de blancs et d’esclaves noires. Si les câpres, mestifs, griffes, quarterons sont les noms qu’on attribuaient à ces métis suivant des taux raciaux indignes mais significatifs de cette volonté de prouver la ‘noble’ origine, ils étaient souvent instruits et bien entendu aussi intelligents que quiconque. Travailleurs et propriétaires fonciers, ils possédaient à la veille de la révolution le quart des esclaves et le tiers des propriétés. Avec leurs ‘frères blancs’, ils partageaient les charges financières et militaires de la Martinique mais étaient pourtant détestés. Par les esclaves, jaloux de ces beaux fils ou beaux frères libres. Par les habitants, ces planteurs qui étaient leurs pères mais dont ils étaient reniés et surtout pas considérés comme leur égal. Et surtout par les ‘petits blancs’, artisans, petits commerçants, marins ou soldats  envieux et haineux envers une réussite financière qu’eux  mêmes ne parvenaient pas à égaler. Une des plus fameuses révoltes révolutionnaires commença lors d’un massacre de mulâtres à Saint-Pierre.

En fait le terme qui me fascine le plus est celui de « nègre ». Employé à l’origine avec une connotation raciste et esclavagiste, il a acquit ces temps ci une dimension culturelle évidente. L’exemple le plus frappant est celui que véhicule le terme de négritude. La création même de ce concept fût à l’origine de la réelle émancipation des antillais. Avec son assimilation et surtout son acceptation, le terme raciste est devenu la plus éclatante bannière, et donc une prise de position définitive. En reconnaissant son origine esclave, l’homme n’était plus noir, ni métis ni presque blanc, il devenait, même en étant blanc, un nègre. Dans les années 20, qui voient l’émergence de cette culture, du côté de Montparnasse, les Antilles dansent et lisent « La Voie Nègre » ou « Le Cri des Nègres ». Le passé est enfin assimilé, les racines, quelques quelles soient, sont enfin là. Un nouvel arbre va pousser… qui dans sa puissance va représenter outre les enfants des esclaves des îles, également toute l’Afrique. Edouard Glissant, l’autre grand poète de l’île parle plutôt du rhizome par opposition à la racine trop limitative par son unicité : « A la racine unique, qui tue alentour, n’oserons-nous pas proposer par élargissement la racine en rhizome, qui ouvre Relation ? Elle n’est pas déracinée : mais elle n’usurpe pas alentour. ». Voilà la créolité. Du coup, aujourd’hui, la simplification par l’ordonnancement et la sémantique du classement n’a plus de sens. Oublions cela.

assurer le travail après l’abolition de l’esclavage, on recrute. Des africains affluent dans un premier temps, proposés par des courtiers, ceux-là même souvent qui organisaient la traite. Puis des hindous et des chinois, souvent à leur insu ou trompés, les remplacent. Ces hommes, laissés sans soin, affamés, aux coutumes, religions et langues différentes n’ont pas le réconfort de participer à une communauté. Cette main d’oeuvre est traitée de façon tout aussi indigne. Il est vrai qu’ils ne représentent pas un capital comme l’est un esclave. L’employeur se moque totalement de ce qu’il peut advenir, d’un être qu’il exploite sans vergogne et qu’il ne rétribue que d’une chiche solde sans se préoccuper de ses conditions de vie. Les « cases nègres » deviennent des taudis que le propriétaire peut à tout moment raser s’il cesse d’exploiter des terres.

La plus remarquable des caractéristiques antillaises est la nature même de cet homme produit par le creuset extraordinaire que sont souvent les îles. Comme ses semblables, la Martinique est un palais somptueux des communions humaines, heureuses ou effroyables. Successions de fêtes fraternelles et sentimentales puis complots sanglants et morbides. Balayées par les vagues de l’océan, elles le sont également par les navigateurs. Ici, les peuples de diverses origines ont abordé, contraints ou conquérants. Ils sont souvent restés dans cet étonnant vivier où s’élabore encore aujourd’hui un remarquable croisement de peuples. L’écume de la mer a créé une nouvelle espèce humaine. Les aléas de l’histoire l’ont façonnée, un peu comme ces espèces animales – propres également aux îles – que la nature déterminée sur le chemin infini de la vie a fait muter. La vitalité flamboyante de cet être n’a cure des spéculations de la morale, comme ces couples qui se rencontrent en secret sur les plages coléreuses du sud-est, ou de l’histoire, comme ces mythes panachés des symboles égalitaires et libertaires. Les occidentaux comme les africains ressentent un vertige culturel dans l’agrégat d’où émergent rite vaudou et liturgie catholique.

D’un autre côté, l’habitant des îles est en situation précaire. Le monde se réduit au havre de sa terre ; cet îlot de vie au milieu d’un océan royaume de forces, naturelles et grandioses. Qu’est la langueur du lagon quand il est soufflé par la rage de l’ouragan ? Que reste-t-il de la poésie de l’horizon quand l’effroi mystérieux nous saisit avec les mains griffues de quelques lames de fond. L’océan semble guetter le frêle esquif de vie qui ne peut s’empêcher de venir y contempler un destin d’aventure… Il y aura toujours ce désir de s’échapper. Car de cet enclos, là-bas, derrière les dernières vagues, l’infini et l’éternité appellent toujours.

L’antillais d’aujourd’hui possède des nuances infinies et subtiles. Ici, la multiplicité des caractères est d’une richesse incomparable. Pour ce qui me concerne, l’antillaise est au genre humain ce que les fleurs sont aux forêts tropicales : une femme-fleur éclatante de beauté, de diversité et de parfums. La preuve du prodige des croisements secrets et mystérieux. Toutes les couleurs de peaux s’y rencontrent et se marient à tous les faciès. Un profil scandinave sous un noir d’ébène comme un visage hindou sous un blanc d’albâtre. Mais là aussi, comme partout et quelque soit les peuples, les civilisations et les croyances observées, la mode pervertit le bon sens esthétique. Et à l’inverse des occidentales qui, toutes aussi sottes, gaspillent du temps et des sommes folles à obscurcir la teinte de leur peau, le grand chic ici est de l’éclaircir par tous les moyens, notamment ceux des multiples recettes de cuisines pour crédules qui témoignent une fois de plus de l’incroyable richesse imaginative des martiniquais. La naïveté de croire en cet esprit du temps va jusqu’à … la recherche d’un époux plus blanc que soi-même !

Découverte des Trois Ilets

Quelque peu déçus, nous reprenons la voiture en direction de la corne du Sud-Est. Nous avons décidé de retourner à la poterie afin d’y faire quelques achats. Des souvenirs, mais aussi les cadeaux pour nous chers parents et enfants…

Aux Trois Ilets, les trois filles flânent près des commerces, comme d’habitude. Pendant que Patrick, lui, admire la toiture de cet ancien atelier créole.

Surplombant la plage, peu après le rideau des palmistes, près d’où le chef Pilote avait autorisé l’installation des jésuites, un écomusée a été dernièrement construit dans le style créole à l’endroit même où Beauregard, le dernier révolté réussit à tenir en échec pendant 8 ans les gendarmes chargés de l’arrêter. Après son suicide, son corps fut exposé au bourg pour donner l’exemple. Cela n’empêcha pas une flambée de velléités insurrectionnelles. Et il n’est pas étonnant que Rivière-Pilote soit devenu depuis la capitale des indépendantistes. De toute façon il en a été toujours ainsi. Ce coin là était le pays des Congos, les derniers déportés africains, à une époque où l’esclavagisme avait disparu et qui par conséquent axaient leurs revendications sur les moyens de survivre – la possession de la terre – et non sur toute autre considération, certes, plus morale, mais bien moins menaçante pour le portefeuille des békés. Les congos n’étaient pas seuls. Ils côtoyaient de récents colons, pauvres et tout aussi insoumis aux règles békés. Et enfin, hors les bourgs et les villages, on était sur le territoire des nègres marrons, terme de l’origine espagnol ‘cimarron’ désignant les esclaves qui s’étaient échappés des plantations et survivaient tant bien que mal de rapines, en se réfugiant dès leurs larcins commis au coeur des grands-bois, ces niches zombis que les maîtres avaient parés de maléfices afin que l’épouvante suppléait aux chaînes. C’est ici que se déclarèrent les évènements de 1870, le plus important soulèvement martiniquais par les motivations qu’il véhiculait, la remise en cause de la propriété de la terre et de la souveraineté française. On y brûla l’habitation Mauny, puis, quelques heures plus tard, une trentaine d’autres flambaient dans tout le sud. Justin Codé, propriétaire de l’habitation Mauny, est peu de temps après assassiné. Une révolte sanglante déclenchée par le coup de cravache d’un blanc, Augier de Maintenon, sur un noir, Léopold Lubin, qui refusait de lui laisser le passage ? Certes non, les raisons étaient plus profondes…

Ce n’est pas cette voie qui fit et fera progresser les choses… Et dans un raccourci cavalier je pense à cette époque pas si lointaine où le Général De Gaulle proclamait avec la solennité qui le caractérisait « Vive le Québec libre », alors qu’Aimé Césaire scandait au même moment à d’autres francophones et avec la même ferveur « Autonomie » ! Le ‘grand cri nègre’, reprit par des milliers de partisans, ne trouvait guère un écho favorable auprès de la duplicité de celui qui pourtant tentait d’en donner leçon à l’histoire ! Et à propos du grand Césaire, comment ne pas aimer ce peuple qui s’est donné pour leader, un poète ?

L’écomusée du village présente l’histoire de la Martinique de la période amérindienne à aujourd’hui en passant par l’ère coloniale, la période esclavagiste et les siècles d’or des grandes plantations. Les plantations antillaises furent un coup génial de la part des français car ils réussirent dès leurs implantations à s’intéresser et à mettre en oeuvre un marché inconnu qui eut une répercussion intense en Europe basé sur des produits jusque là inconnus et d’une qualité exceptionnels, le sucre, le café, le gingembre, le coton et l’indigo qui avait été cultivé à l’origine à Saint-Domingue. En outre, et c’est peut-être la réelle gloire des antillais, la Martinique, comme la Guadeloupe, a su se reconvertir, malgré toutes les difficultés dans d’autres produits, notamment la banane qui en est aujourd’hui le fleuron. Je suis malgré tout perplexe devant le peu d’intérêt que portent les martiniquais aux épices. Pas loin, la muscade et le clou de girofle prospèrent à la Grenade, le poivre au Brésil, la cardamome en Amérique centrale, le piment commun qu’on appelait « poivre des caraïbes » et ce piment si aromatique, plus connu sous le nom commun de « quatre-épices » à la Jamaïque et pourquoi pas la vanille dont la fécondation artificielle a été découverte par Edmond Albius, un jeune esclave réunionnais à peine âgé de 12 ans. Pourquoi ne pas réactiver une ancestrale route des épices ? Peut-être que le retour aux denrées d’antan pourraient être également la solution aux problèmes de chômage qu’elle subit actuellement…

Sur sa gauche, un petit bâtiment propose les méthodes de pêches martiniquaises. Au centre, quelques vieux gommiers, que les indiens appelaient yole, des pirogues monoxyles que les caraïbes creusaient d’une seule pièce dans les troncs des arbres du même nom. Elles sont très fines, donc rapides mais instables. Cela prouve la dextérité marine de ceux qui les utilisaient. Ici, elles ne sont pas toilées. Mais elles portaient une voilure importante à livarde qui nécessite par forte brise de faire du rappel pour assurer l’équilibre. Quelques membrures coiffées d’un bordé consolidaient le tout. Remplacées aujourd’hui par des embarcations plus solides en plastique, elles étaient encore utilisées il y a quelques dizaines d’années. Il est toutefois possible d’en rencontrer dans quelques coins, abandonnées et délaissées à la vermine.

Le Sud

Quelques histoires de cailloux.

Nous sommes à Sainte-Luce. Un panneau vantant les mérites d’une bijouterie artisanale a décidé les filles à y jeter un oeil. L’achat de bijoux se fait sentir ! Je ne dis rien et les dépose devant un pavillon. Un enfant joue avec un chien aveugle près des flaques laissées par le dernier orage. Il fait beau. J’ai chaud dans la voiture. Je sors et m’approche de la bijouterie. Les trois filles observent attentivement des centaines de bijoux exposés sur  des tréteaux devant la maison. Le chien me regarde sans me voir. En fait, il doit me renifler. Rassuré, il retourne vers l’enfant. C’est un jeune bambin de 2 ou 3 ans, fort pour son âge et blond. Tiens donc, les filles ont l’air de payer quelque chose. Elles reviennent avec un petit sourire ! Au port tout en longueur, nous prenons un café. Un orage brutal s’abat. Quand il se calme nous partons à la recherche de timbres postaux.

On pousse vers Le Diamant, et comme par hasard, nous nous arrêtons au marché. Devant le village, imperturbables, la mer et le rocher se racontent des histoires de marins… En face, le rocher du Diamant dans lequel les anglais voient un éternel pied de nez à la France (on se console comme on peut).

Il n’y a pas de navire britannique croisant au large qui omettrait de saluer d’un coup de corne le H.M.S. Diamond Rock. Le commodore Hood réussit, lors des guerres napoléoniennes, à convaincre l’amirauté britannique à transformer ce rocher en nouveau Gibraltar afin d’assurer le blocus de la Martinique. Le transformant en citadelle, qu’il croyait imprenable, il le baptisa tel un navire en hissant à son sommet, outre des canons, le drapeau de la marine royale britannique. La fanfaronnade ne dura pas. L’amiral Villeneuve et Villaret de Joyeux ayant réussi à quitter Toulon en déjouant la surveillance de Nelson, attaquèrent James Maurice au Diamant et le reprirent.

Nelson allait le venger plus tard mais le rocher restait français.

L’invitation chez Danielle Laporte, qui habite près du Marin, nous fait rebrousser chemin. Nous éprouvons quelques difficultés à trouver son logis. Les routes s’enfonçant ou escaladant les mornes sont nombreuses, étroites et souvent cachées entre les replis du terrain.

Nous passons près d’un gallodrome où des combats de coqs sont organisés chaque semaine. Puis nous reconnaissons le site où l’on nous attend. Un portail, en face de quelques poubelles, juste avant une école abandonnée… Nous y sommes.

Danielle possède une maison typique de l’architecture de l’île, moderne et sans recherche – hormis le fonctionnel. Son jardin possède par contre des arbres et des fleurs intéressants. On y recueille quelques graines de cotonniers et l’on ramasse des citrons verts. Rosine a la mission de se débrouiller pour tout faire pousser chez elle…

C’est l’heure du repas.

  • Ti-Punch
  • Salade
  • Gigot et christophines
  • Glaces

Puis on se promène dans la savane du sud-est. La côte est abrite l’anse Cosmy  De superbes villas dans un décor sauvage. Des vues magnifiques probablement préservées de l’urbanisation sauvage des locaux ou du tourisme pour bien peu d’années.

La plage, malgré de grosses vagues n’inspire pas Marion. Aussi nous retournons sur les Salines qui est sans conteste la plus belle de la Martinique et suffisamment calme pour que Marie-Claude accepte d’y tremper ses jambes. Rosine et Marion ont découvert à l’ouest de cette immense plage un endroit où les vagues de l’Atlantique ont encore assez de puissance pour éclabousser leur corps.

Peu après, retour au marché du Diamant où l’on s’était promis de revenir glaner quelques cadeaux pour les « pôvres » restés en France.

Quelques très belles barques de pécheurs traînent nonchalamment sur la plage. C’est Christophe Colomb, le premier qui désigna les pirogues des Caraïbes sous leur nom d’origine, le Canoa, qui donna le canot.

Une réflexion sur “Dérives en rives caraibes Vol. I

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